• Laurent BOUDIN est Directorial éditorial des éditions Pocket.

    Découvrez son métier, son parcours et ses conseils pour les personnes attirées par sa profession.

    www.zonelivre.frLaurent Boudin, comment pourriez-vous définir votre métier d’éditeur ?

    Avant toute chose, je dirai qu’à mes yeux, l’éditeur est un Passeur, avec un grand P, le lien indispensable entre l’auteur et ses futurs lecteurs. Entre les deux, bien entendu, il y a le travail d’édition, de commercialisation, de promotion, mais pour moi, l’essentiel est dans cette idée de transmission de l’oeuvre d’un seul individu vers la communauté des lecteurs.

    C’est pour cela que j’aime ce métier et comme cela que je souhaite l’exercer. J’utiliserai l’image de « tisseur de lien social », l’éditeur rapprochant par le livre des gens qui sans cela, ne se seraient peut-être pas connus ou rencontrés. C’est un métier fait d’un mélange d’altruisme, on ne lit pas pour soi, et de générosité, on re-donne ce que l’on a reçu avant les autres.

    Pouvez-vous nous présenter votre maison d’éditions ?

    Presses Pocket a été créé en 1962, est devenu Pocket en 1986, et fêtera son 50e anniversaire cette année. L’équipe éditoriale est composée de 4 personnes : Valérie Miguel-Kraak, Directrice éditoriale adjointe, Perrine Brehon, assistante, Stéphane Desa, éditeur junior et votre serviteur, Directeur éditorial.

    Maryannick Le Du, chef-correctrice, et Sylvia Placoly, correctrice, veillent avec vigilance et professionnalisme sur la qualité de nos ouvrages.

    Quelle est la ligne éditoriale des éditions Pocket ? Quels types de romans policiers proposez-vous ?

    La ligne éditoriale de Pocket est simple : proposer des textes variés et de qualité au plus grand nombre de lecteurs possibles. Nous nous intéressons à tous les formes d’expression du polar, du « who done it ? » au thriller, en passant par le roman noir. La base de ce travail est une politique d’auteurs choisis, que nous accompagnons sur le moyen et long terme. Nous sommes capables de réaliser des « coups » d’édition mais souhaitons baser notre développement et notre lectorat sur la construction pas à pas des auteurs et de leurs succès. Le nombre d’année nécessaire ne compte pas, il faut travailler à chaque parution à accroître le lectorat de l’auteur.

    Pouvez-vous nous présenter votre journée type ?

    Arrivée vers 11h00, déjeuner à 12h00… Je plaisante ! La journée commence vers 8h45 au bureau ou en rendez-vous extérieur. Elle est émaillée de réunions, dans le service édito ou avec d’autres services (commercial, communication, marketing, presse, etc), d’appels téléphoniques, de lecture de documents divers et variés et de rendez-vous au bureau. Lé déjeuner est un moment de travail important également où nous rencontrons auteurs, éditeurs, cessionnaires de droits, agents…

    Quel est votre parcours professionnel ?

    Titulaire d’un bac de Philo/Lettres, j’ai opté ensuite pour une formation juridique (maîtrise en droits privé). Mon premier emploi était au Grand Livre du Mois où j’ai appris le métier sous la bienveillante vigilance de Charles Dupêchez, aujourd’hui Directeur des éditions Pygmalion. J’y suis resté 10 ans, et j’avoue que la VPC a été une formidable école. Cela m’a permis aussi de connaître beaucoup dans le métier et de me faire connaître d’eux. J’ai ensuite rejoins Univers Poche en tant que Responsable éditorial de Pocket en 2000, pour en devenir Directeur éditorial en 2005.

    Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait exercer votre profession ?

    D’abord de se former le plus et le mieux possible. Ensuite, de faire des stages en étant vigilant sur leur contenu et sur ce qu’ils apporteront concrètement à leur formation. Sans passion, l’édition n’est rien, alors il faut être sûr de sa passion avant de s’engager sur ce chemin. Enfin, il faut s’armer de patience, de beaucoup de patience.

    Quels sont vos livres cultes ?

    Aucune bête féroce – Edward BUNKER

    La malédiction du gitan – Harry CREWS

    Dalva – Jim HARRISON

    Mary de Cork – Joseph KESSEL

    La main coupéeL’homme foudroyé – Blaise CENDRARS

    Le feu – Henri BARBUSSE

    J’irai cracher sur vos tombes – Vernon SULLIVAN

    Paris est une fête – Ernest HEMINGWAY

    Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable – Romain GARY

    Tout ce qui meurt – John CONNOLLY

    Tokyo – Mo HAYDER

    Merci à Laurent BOUDIN de nous avoir accordé cette interview.

    Portrait de Laurent BOUDIN par Nathalie JAUMARD. Ne pas reproduire cette illustration sans leurs autorisations.

    Interview réalisée par Sofy Peugnez (libraire)

    Site des éditions POCKET : www.pocket.fr

    Source : http://www.zonelivre.fr


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  • www.arte.tv

     « Kafka n’a rien perdu de sa modernité »

    Monsieur Wagenbach, l’œuvre de Kafka est-elle toujours d’actualité ? Quel est l’intérêt de lire encore Kafka aujourd’hui ?
    Je répondrai à cette question en citant Elias Canetti. D’après lui, Kafka est à l’origine d’images du pouvoir indélébiles qu’il offre aux lecteurs intéressés : ce sont autant de messages qui n’arrivent pas à leur destinataire, de chemins introuvables ou inexplicables menant au château, de condamnations incompréhensibles ou encore un procès aux motifs insondables. En somme, tout ce qui fait la bureaucratie. Dans ce labyrinthe administratif, même le pouvoir s’y perd parfois. C’est cela, le monde de Kafka.

    Mais cela décrit aussi, peut-être même plus que jamais, le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui ?
    En tout cas, la bureaucratie et ces structures n’ont, à mes yeux, pas gagné en transparence au cours des quatre-vingts dernières années, bien au contraire. En ce sens, Kafka n’a rien perdu de sa modernité.

    « Eines hilft immer – Lesen » (La lecture est toujours un bon remède) est la phrase d’accueil du site Internet de votre maison d’édition. L’œuvre de Kafka a-t-elle une certaine utilité ou est-elle bien trop empreinte de tristesse existentielle ?
    Ce n’est pas la bonne question et je ne peux donc y répondre. Pourquoi la grande littérature ne pourrait-elle pas être triste et malgré tout - ou précisément pour cette raison - être d’une grande utilité ? Mais elle ne remplit naturellement pas de fonction pédagogique ni ne fournit de conseils. La littérature n’est pas faite pour être utile dans toutes les situations de vie.

    La littérature de Kafka est, en tout cas, considérée comme très sérieuse. Son œuvre est-elle également empreinte d’humour ou d’une certaine forme d’ironie ?
    Mais bien sûr et il y a de nombreux exemples. J’en citerai deux. D’une part, cette merveilleuse nouvelle intitulée Première souffrance, issue du recueil Un Champion de jeûne, publiée peu avant la mort de Kafka. Elle raconte l’histoire d’un artiste de cirque qui ne quitte pas le chapiteau et qui refuse de descendre de son trapèze, même pour prendre ses repas. Kafka explique alors – ce que je trouve fabuleux – que l’air est meilleur en haut. Et lorsque le cirque doit reprendre la route, on amène l’artiste rapidement à la gare pour qu’il puisse directement sauter dans le filet à bagages ! Une histoire folle, amusante et pleine d’humour, mais qui décrit également de manière très détaillée la fascination qu’exerce l’Art, avec un grand A. D’autre part, permettez-moi d’évoquer le non moins célèbre récit Rapport pour une Académie dans lequel, au cours d’une conférence, un singe explique à un aréopage d’académiciens comment il s’est transformé en homme. Elle contient plusieurs phrases du genre : « Mais elle [l’existence] démange aux talons tous ceux qui marchent sur cette terre : le petit chimpanzé comme le grand Achille. » Personne ne peut prétendre que Kafka manquait d’humour !

    L’œuvre de Kafka tient une grande place dans la littérature mondiale. Kafka avait chargé Max
    www.arte.tvBrod, son éditeur et ami, de brûler après sa mort toutes ses œuvres non publiées, dont ses trois grands romans, ce que Brod s’est bien gardé de faire. Avait-il le droit d’agir de la sorte ? Vous qui êtes éditeur, qu’auriez-vous fait à sa place ?
    Je vous réponds sans hésiter que j’aurais fait exactement la même chose. Cela ne se fait pas de brûler des manuscrits. Et ce n’est sûrement pas l’ami, l’admirateur de l’œuvre de Kafka, celui qui l’a toujours encouragé à publier ses écrits qui aurait pu commettre un tel acte. Dans ce cas, l’auteur lui-même savait que cette dernière volonté ne serait probablement pas respectée.

    Dans « Qui était Kafka », le nouveau documentaire de Richard Dindo diffusé lors de la soirée Thema consacrée à l’auteur, le personnage de Max Brod affirme en effet que Kafka savait qu’il ne respecterait pas cette dernière volonté et que s’il y avait vraiment tenu, il se serait adressé à quelqu’un d’autre.
    Oui, c’est également mon intime conviction. Il s’agissait d’une demande ambivalente à laquelle Max Brod a refusé d’accéder, par chance pour la postérité.

    En allemand, le terme « kafkaesk » est employé à tout bout de champ. Quelle est sa signification première ?
    Au premier degré, ce terme désigne des structures inextricables que personne n’est en mesure d’expliquer, telles qu’elles sont décrites dans l’œuvre de Kafka. Mais il ne faut pas oublier que Kafka a souvent été mal compris et que le terme « kafkaesk » est souvent utilisé à mauvais escient. L’accueil que lui ont réservé les Français en est un parfait exemple. Dans les années 1930, l’Anthologie de l’humour noir d’André Breton le classe tout d’abord parmi les surréalistes et il suscite en tant que tel l’enthousiasme des maisons d’édition et des lecteurs. Dans les années 1940, son œuvre est soumise au crible des interprétations existentialistes de Camus et Sartre.
    Il est d’autre part intéressant de souligner que Kafka était déjà célèbre partout dans le monde lorsque, après avoir été interdit par les nazis, il commence à être vraiment lu en Allemagne après la guerre. Kafka est l’un des rares auteurs à jouir d’une renommée internationale lorsqu’il revient dans le pays de la langue dans laquelle il écrit et où il est pratiquement inconnu. Le terme allemand « kafkaesk » décrit d’ailleurs parfaitement cette situation. En Allemagne, l’auteur est découvert dans les années 1920. Ses œuvres y sont ensuite interdites, avant de réapparaître après avoir fait le tour du monde. A l’époque, il est, du reste, déjà très lu en Angleterre et aux Etats-Unis où ses écrits font plutôt l’objet d’interprétations politiques et psychanalytiques, mais c’est probablement après avoir connu la consécration en France qu’il devient mondialement célèbre.

    Quelle a été votre expérience personnelle la plus intense à la lecture de l’œuvre de Kafka ?

    C’était en 1950, lorsque je faisais mon apprentissage chez S. Fischer, la maison d’édition allemande qui a publié Kafka après la guerre. Un jour, mon supérieur m’a demandé d’évaluer un livre allemand qui débutait par ces mots : « Quelqu’un avait dû calomnier Josef K. » Pour moi qui, comme tous les jeunes gens de l’époque, préfèrais lire les auteurs américains comme Faulkner et Hemingway, l’œuvre de Kafka était totalement inédite.
    Mais ma plus belle expérience est un récit que j’ai raconté. Dans le cadre de mes recherches sur l’auteur, je me suis rendu, il y a près de vingt ans, à Triesch, en République tchèque actuelle, où Siegfried Löwy, l’oncle de Kafka, était médecin de campagne et où se déroule la nouvelle Un Médecin de campagne. Devant un petit hôpital, je tendis à un homme un bout de papier sur lequel était écrit en tchèque que je cherchais la maison du médecin de campagne. Il s’agissait du médecin en chef de la clinique qui m’invita en allemand à entrer et commença par dire : « Kafka est interdit. » C’était alors effectivement le cas en Tchécoslovaquie.
    Ensuite, il m’a demandé de lui conter la nouvelle : je me suis donc retrouvé à raconter l’histoire du médecin de campagne de Triesch, de Kafka, au médecin de campagne de Triesch qui m’a dit, une fois que j'avais terminé : « C’est très juste. Belle histoire. » Puis il m’expliqua pourquoi il la trouvait réaliste. Chez Kafka, le médecin de campagne devait savoir tout faire et tout réparer de ses mains frêles. Le médecin de Triesch me raconta alors que, lorsqu’il rendait visite à ses patients, il devait commencer par rétablir le courant. « Un médecin doit savoir tout faire ! »

    Une autre excellente illustration du terme allemand «kafkaesk ». Klaus Wagenbach, merci de cet entretien.

    Source : http://www.arte.tv/fr


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