• L'école française

    Après la Seconde Guerre mondiale, le roman noir américain va influencer beaucoup de romanciers français et, plus tard, les générations des années 1970-1980. Mais les vrais pères du « néo-polar » sont sans aucun doute Léo Malet (1909-1996) et Frédéric Dard (1921-2000). Ancien surréaliste, Malet, en 1941, avait commencé à écrire, sous pseudonymes américains, des récits censés se dérouler aux États-Unis. Il innove deux ans plus tard avec 120, rue de la Gare (1943) et transpose l'univers du privé américain en France. Ce dernier prend l'apparence de Nestor Burma, un détective pittoresque et humain, qui va mener une foule d'enquêtes.

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    À partir de 1954, Malet l'utilise dans une série ambitieuse, Les Nouveaux Mystères de Paris (1954-1958), dont chaque épisode se déroule dans un arrondissement de Paris. Si la saga ne fut jamais achevée (quinze arrondissements sur vingt furent visités), elle reste un étonnant témoignage sur le Paris des années 1950. Frédéric Dard commence en 1940 par publier des ouvrages sans rapport avec le genre policier, avant de signer, à partir de 1945, des romans noirs, durs et violents, en usant de divers pseudonymes. Mais c'est sous le nom de San Antonio qu'il va connaître le succès, grâce à sa série truculente consacrée au commissaire homonyme (Réglez-lui son compte, 1949) et à son acolyte, l'infâme Bérurier.

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    S'ils ont marqué le genre, ces deux incontournables ne doivent pas occulter l'importance de l'œuvre de Jean Meckert (1910-1995) qui débute en 1942 à la N.R.F. avec Les Coups. À partir de 1950, sous le pseudonyme de John (puis Jean) Amila, il publie une série d'excellents romans noirs (Ya pas de Bon Dieu ! ; La Lune d'Omaha ; Le Boucher des Hurlus...) parfaite synthèse entre roman populiste français et roman noir américain.

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    Si les préoccupations sociales d'Amila sont évidentes dans chacun de ses livres, il reste pour l'époque une exception. Aux quartiers populaires, la mode préfère l'exotisme de Pigalle et de ses gangsters parisiens. Albert Simonin (1905-1980), surnommé « le Chateaubriand de la pègre », devient célèbre en recevant le prix des Deux Magots pour son chef-d'œuvre Touchez pas au grisbi (1953). Il récidive avec la trilogie du Hotu (1968), passionnante chronique sociale du milieu parisien des années 1920. Si cet autodidacte manie un argot coloré qui rend son style rare et inimitable, la plupart de ses épigones sont aujourd'hui oubliés, exception faite d'Auguste Le Breton (Du rififi chez les hommes, 1953) ou de José Giovanni (Le Deuxième Souffle, 1958).

    Boileau et Narcejac théorisent sur le suspense, « roman de la victime ». Lorsqu'ils passent à la pratique, c'est le succès avec Celle qui n'était plus (1952) et D'entre les morts (1954), adaptés au cinéma par H. J. Clouzot (Les Diaboliques) et Alfred Hitchcock (Vertigo). Ils explorent aussi la voie du pastiche (Le Second Visage d'Arsène Lupin), comme Viard et Zacharias qui réécrivent Hamlet (L'Embrumé, 1966). Une dizaine d'années plus tard, l'érudit René Réouven (René Sussan) imaginera de nouvelles enquêtes de Sherlock Holmes (L'Assassin du boulevard, 1985). Cette verve parodique, lancée par Cami (Aventures de Loufock Holmes, 1926), connaît de nombreux adeptes comme Jypé Carraud avec son détective Stanislas Perceneige (Le Squelette cuit, 1950). Clarence Weff (Alexandre Valletti) dans Cent Briques et des tuiles (1964) imagine un gang qui dévalise un magasin en jetant la recette dans la hotte du père Noël. Jean-Pierre Ferrière fait enquêter deux vieilles filles, les sœurs Bodin, dans Cadavres en solde (1957). Fred Kassak (Pierre Humblot) passe du noir absolu (On n'enterre pas le dimanche, 1958) à la farce inspirée, avec Bonne Vie et meurtres (1969). Jusqu'à Georgius, le célèbre chanteur de café-concert, qui sous le pseudonyme de Jo Barnais propose une visite des grands lieux du music-hall parisien, devenus le théâtre d'une série de crimes (Mort aux ténors, 1956). Dans ce domaine, la palme revient sans doute à Charles Exbrayat (1906-1989), sorte de touche-à-tout du polar, avec ses séries humoristiques consacrées à Romeo Tarchinini, commissaire à Vérone (Chewing-gum et spaghettis, 1960) et à son amazone écossaise, la célèbre Imogène McCarthery (Ne vous fâchez pas Imogène, 1959). Prolifique, Exbrayat excelle dans le polar « chronique du terroir » (Le Clan Morembert), où s'illustrent Claude Courchay (Le Chemin de repentance, 1984) et Pierre Magnan, avec son commissaire Laviolette (Le Sang des Atrides, 1978). Exbrayat sait aussi bâtir d'excellents suspens (Vous souvenez-vous de Paco ?, 1958), un genre prisé par Jean-François Coatmeur, auteur de solides récits presque toujours ancrés dans la réalité sociale bretonne (Nocturne pour mourir, 1959 ; Les Sirènes de minuit, 1976). Dans la même veine, Noël Calef publie en 1956 deux chefs-d'œuvre, Échec au porteur et Ascenseur pour l'échafaud, Michel Cousin, La Puce à l'oreille (1963), et Sébastien Japrisot, Piège pour Cendrillon (1962). Georges-Jean Arnaud (né en 1928) et Michel Lebrun (1930-1996) ne se rattachent à aucun courant, sinon celui de la littérature populaire. Arnaud est prolifique. Avant l'émergence du roman noir social français, son œuvre adopte une tonalité contestataire. Il met souvent en scène de simples citoyens en butte à la violence et aux manipulations des divers pouvoirs qui mènent le monde. Michel Lebrun (Le Géant, 1979), qui a abordé tous les styles, a été surnommé « le pape du polar ». Autodidacte érudit et théoricien, il a consacré beaucoup de son temps à réhabiliter le genre policier, souvent considéré comme mineur et méprisable.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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