• L'Extrême-Orient

    Il est encore fréquent en Occident d'attribuer Gutenberg, l'invention de l'imprimerie, vers le milieu du XVesiècle. Cette opinion, fortement ancrée dans les esprits et les écrits, n'est guère partagée en Asie où les premiers textesreproduits par xylographie – impression de feuillets entiers à l'aide de planches gravées – l'ont été plus de six siècles auparavant et où les premières impressions typographiques sont antérieures de plus de quatre siècles. Les témoignages ne manquent pas sur les débuts de l'imprimerie extrême-orientale, mais les étapes initiales restent cependant assez obscures. Les premières xylographies reproduisant des textes sur papier à partir des planches de bois gravées semblent être apparues en Chine vers la fin du VIIesiècle. Cependant, le plus ancien xylographe daté que l'on ait découvert en Chine n'est pas antérieur à 868 : c'est le fameux sūtra du Diamant, trouvé au début du XXesiècle par Aurel Stein dans les grottes de Mogao près de Dunhuang, aux confins de l'Asie centrale, et qui est conservé à Londres. Accompagné d'un frontispice lui aussi xylographié, ce rouleau révèle, par ses qualités d'impression, une étape avancée de la technique xylographique.

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    sūtra du Diamant

    Dans la seconde moitié du IXesiècle, la xylographie s'était déjà répandue non seulement en Chine, mais avait gagné la Corée et le Japon qui étaient sous le coup d'une profonde influence culturelle chinoise. En Corée a été découvert, en 1966, un petit sūtra bouddhique en chinois, enfermé, peut-être depuis le milieu du VIIIesiècle, dans un stūpa, monument contenant souvent des reliques ou un manuscrit. Au Japon surtout, un million de courts textes bouddhiques en chinois furent imprimés sur l'ordre de l'impératrice Kōken entre 764 et 770, et enfermés dans autant de petits stūpa, dont plusieurs centaines subsistent.

    • Les préalables de la xylographie

    Comme toute invention, la xylographie chinoise n'apparaît que lorsque plusieurs conditions matérielles, techniques, mais aussi intellectuelles et sociales sont présentes. Bien que l'impression de textes ou d'images puisse se faire sur différents supports, le papier est le support privilégié de la xylographie. Lorsque la xylographie naît en Chine, et contrairement à ce qui s'est passé en Occident, le papier est connu depuis longtemps. En effet, les origines de sa fabrication peuvent être situées au 1ersiècle avant notre ère. Né d'une sorte de substitut au tissu, il sert d'abord à envelopper des objets avant de devenir un support de l'écrit, comme le sont alors la soie et le bois ou le bambou. C'est l'eunuque Cai Lun, souvent considéré comme l'inventeur du papier, qui, au début du IIesiècle de notre ère, fait de celui-ci un support apte à recevoir l'écriture, grâce à l'amélioration des techniques de fabrication du papier et, peut-être, par l'adoption d'une forme mobile, telle que la connaîtront plus tard les Occidentaux, qui remplace alors la forme fixe primitive.

    Dès le IIesiècle, l'usage du papier se développe et empiète sur les autres supports. Plusieurs anecdotes le confirment. Moins coûteux que la soie, plus léger et d'un usage plus facile que les tablettes de bois et de bambou, comme l'indiquent les sources, le papier s'impose peu à peu et devient le matériau privilégié des manuscrits, comme il deviendra celui du livre imprimé, en dehors de mille autres usages. L'encre constitue aussi bien sûr un élément matériel nécessaire à l'imprimerie, mais cette substance faite de suie de pin mêlée à de la colle de poisson, de corne de cerf ou de peau, servit aussi bien à l'écriture des manuscrits qu'à l'impression des xylographes. Les textes reproduits par xylographie non seulement requièrent papier et encre, mais font aussi appel à une technique de gravure inversée. La pratique de la gravure servait en effet à la reproduction d'images et d'écrits depuis l'Antiquité. En cela, la xylographie hérite d'abord des impressions de sceaux. Servant généralement à l'authentification ou à l'identification des documents, les inscriptions des sceaux étaient gravées à l'envers dans du métal, mais aussi dans le jade, l'ivoire, l'argile et le bois. Le plus souvent, les signes étaient inscrits dans un carré sur une seule face du sceau, limités à quelques caractères pouvant aller de deux à six, et parfois jusqu'à neuf. Les impressions furent faites d'abord sur de l'argile. Ainsi, lors de leur transmission, les tablettes de bois ou de bambou étaient liées et scellées à l'aide d'une petite pièce d'argile marquée d'une empreinte de sceau. Les inscriptions étaient alors gravées en creux. Deux étapes importantes dans l'histoire des sceaux devaient avoir une influence capitale sur la naissance de la xylographie. La première est le passage à la gravure en relief, la seconde l'abandon de l'argile pour l'impression et son remplacement par un support plan, papier ou soie, sur lequel était appliqué le sceau préalablement enduit d'encre noire ou rouge. Cette substitution différencie totalement l'évolution des sceaux en Extrême-Orient et dans le Bassin méditerranéen. En Asie, cette technique d'impression des sceaux à l'aide de cachets de bois servit également à l'impression d'images et de charmes, avant d'être employée pour la reproduction de textes plus longs. C'est ce que confirment plusieurs textes, dont l'Histoire de la dynastie Sui, rédigée dans la première moitié du VIIesiècle, qui mentionne l'impression de charmes gravés sur bois par des adeptes du taoïsme en vue de guérir des maladies. Toutefois, une étape supplémentaire devait être franchie pour aboutir à la xylographie telle que nous la connaissons, qui suppose le retournement de la planche : alors que le cachet était apposé sur le papier, dans l'impression xylographique, c'est le papier qui est appliqué sur la planche encrée et « pressé » à l'aide d'un frotton. L'influence de la gravure sur pierre et de l'estampage sur l'invention de la xylographie a certainement été moindre qu'on ne le prétend parfois. Si, en fait, la technique de reproduction des textes par estampage préexiste à la xylographie, les deux procédés restent assez éloignés. En effet, les textes gravés sur pierre le sont directement et en creux, et non en sens inverse et en relief. De plus, le texte s'imprime, si l'on peut dire, au revers du papier, puisque la feuille humide qui adhère à la stèle jusque dans les creux de la gravure est encrée sur son avers, de sorte que le texte apparaît en blanc sur fond noir.

    • Fixation ou multiplication des textes

    Suscitée par des innovations techniques, la naissance de la xylographie s'inscrit dans un processus social et intellectuel complexe et quelque peu contradictoire, qui se traduit à la fois par une reproduction intensive et en même temps par une volonté de conservation de l'écrit.

    L'encouragement constant donné à la multiplication des écrits et des images bouddhiques est à la source de l'imprimerie chinoise. Les fidèles étaient incités régulièrement non seulement à lire de manière répétée un grand nombre de fois les sūtra bouddhiques, mais aussi à reproduire par milliers les représentations des buddha. Ces représentations étaient peintes sur les murs à l'aide de pochoirs ou de poncifs, ou bien imprimées sur papier avec des cachets de bois. À la copie des textes se substitue peu à peu leur reproduction par xylographie. Ce sont d'abord des formules magiques et de courts textes dont la gravure tient sur une ou deux planches. La xylographie intéresse donc en premier lieu les milieux populaires. À côté de ces textes bouddhiques, les premiers xylographes reproduisent des calendriers, des lexiques, des clefs des songes et autres opuscules divinatoires, dont les autorités voient parfois la diffusion d'un œil réprobateur. À l'inverse de ce phénomène, l'impression des œuvres classiques se développe plus lentement. Les milieux lettrés, très attachés à la copie des classiques du confucianisme et de leurs commentaires n'ont pas tout de suite le même engouement pour la xylographie. Ce moyen de reproduction ne représente pas tant pour eux une manière de multiplier les écrits qu'un procédé pour fixer les textes dans leur authenticité, comme le sont les classiques gravés sur siècles de pierre. Les textes des classiques, vérifiés, corrigés, ont pu être ainsi établis de manière durable à un coût moindre que celui qu'aurait exigé la gravure sur stèles.

    Cette double appréciation de la technique xylographique devait conduire à un développement différencié de l'imprimerie en Chine. D'une part, les impressions populaires donnent lieu à un marché considérable de l'édition privée à partir des Xe et XIesiècles, où apparaîtront diverses tentatives d'améliorations techniques ; d'autre part, le but de fixation des textes se traduit par une stagnation relative de la xylographie dans les milieux officiels, obsédés par le contrôle du contenu de la production écrite.

    • Les formes du livre

    En Occident, le passage du volumen au codex, qui s'opère à partir du début de notre ère, n'a guère eu d'incidence sur l'invention ou la diffusion de l'imprimerie ; le codex était adopté depuis trop longtemps. En Chine, en revanche, le processus complexe d'évolution du rouleau sur le livre aux feuilles pliées favorise sans aucun doute le développement de la xylographie.

    Les premières traces de cette évolution peuvent être situées au VIIIesiècle. À cette époque, le rouleau de papier, qui avait lui-même succédé aux longues pièces de soie, se voit peu à peu concurrencé par de nouvelles formes du livre. De telles transformations résultent d'influences à la fois techniques et intellectuelles. Le livre chinois est influencé par l'Inde, à la suite des allées et venues des pèlerins rapportant des livres bouddhiques sanskrits en masse, écrits sur des pothi. Ces livres, faits de feuilles oblongues de latanier, écrites au recto et au verso, étaient simplement percés d'un ou de deux trous et reliés par un ou deux fils qui évitaient la dispersion des feuillets. Ils sont à l'origine des accordéons, obtenus par le pliage à intervalles réguliers des feuilles de rouleaux chinois. Dans le même temps, les lexiques et les recueils de rimes, tels que le Qieyun, se présentent sous la forme ambiguë de livres aux feuillets assemblés par collage sur un bord, écrits recto verso, et roulés dans une feuille de couverture : ce sont les livres « en tourbillon », qui tiennent à la fois du rouleau et du livre en feuillets. Sous l'influence conjuguée de ces deux nouvelles formes apparaît le livre « en papillon », assez semblable à nos livres modernes, et dont les feuillets, écrits recto verso, étaient découpés dans une feuille selon divers formats et procédures, puis pliés en deux et collés à la suite ou encartés en cahiers. La xylographie profite de ces nouvelles présentations pour s'imposer. L'une des raisons majeures de ces changements vient probablement du développement des concours officiels sous la dynastie des Tang (618-907). Les encyclopédies, recueils de citations classées par catégories qui servaient à la préparation des examens, comme le Yiwen leu ou le Chuxueji, étaient lues de manière discontinue, procédure que le rouleau ne permettait guère. Les facilités de repérage dans les livres en feuillets permettent cette consultation. Les livres en papillon entraînent l'accroissement des livres de petits formats facilement transportables, véritables « livres de poche » où fidèles et écoliers consignent les écrits les plus usuels.

    Toutes ces formes du livre aident à la propagation de la xylographie, sans pour autant éliminer totalement le rouleau. Elles donnent lieu à des usages spécifiques : accordéons pour les sutra bouddhiques, livres en papillon pour les écrits populaires par exemple. Néanmoins, cette dernière forme devait encore évoluer. En effet, la feuille xylographiée n'est imprimée que d'un côté et, pour éviter la présence de pages vierges succédant à des pages imprimées, les livres ont été plus tard brochés par les bords et non plus par les pliures : on obtient alors le livre « au dos enveloppé » qui reste en usage jusqu'au XXesiècle.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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