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    14 février 1931 (Nevada) - 1988

    Né le 14 février 1931 dans le Nevada, mais ayant grandi en Belgique, grand voyageur, parfaitement bilingue, amoureux des spectacles parisiens, Bruce Lowery écrit ses œuvres en anglais avant de les traduire dans sa langue natale, le français, sa mère étant d'origine belge.

    La cicatrice, son second roman, est écrit en 1962 et reçoit en 1959 le prix de l'Académie française, décerné à cette époque par Charles de Gaulle en personne, représentant de la France donc de la langue française à cette époque. Il affirme dans une lettre à sa mère avoir ressenti une "intense émotion de solitude" face au général. Son oeuvre, quoique courte en apparence, marque la recherche de l'absolu et de l'infini, notamment dans Qui cherche le mal, ouvrage de réflexion et de considération philosophique. Son style épuré et simple montre qu'avec des mots du quotidien on peut ressentir des émotions. C'était enfin un amoureux de la musique russe, à laquelle il fait souvent allusion dans ses oeuvres (dans Le philatosexuel par exemple, il y consacre d'ailleurs un chapitre). La cicatrice est son roman le plus achevé, malgré la critique qui dénonça une oeuvre où "les enfants ne sont que des bourreaux ayant soif de cruauté". Il enseigna également au collège Stanislas à Paris, un prestigieux établissement.

    Bruce Lowery est mort en 1988 d'un cancer de l'estomac.

    Source : http://fr.wikipedia.org


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    Soirée de gala et de retrouvailles à Cornwall, dans le comté de New York : les anciens élèves de la Stonecroft Academy fêtent le vingtième anniversaire de la création de leur club. Parmi les invités d'honneur, l'éminente historienne Jean Sheridan, qui retrouve sa ville natale.
    Mais le sourire de Jean ne parvient pas à cacher sa tension : elle vient de recevoir des menaces à l'encontre de sa fille. Et lorsqu'elle apprend qu'une des anciennes étudiantes de Stonecroft vient d'être retrouvée noyée dans sa piscine c'est la cinquième élève à succomber à un décès brutal et mystérieux , sa peur redouble. D'autant que, autour du buffet, les langues se délient et le passé refait surface. Le spectre d'une jeune femme assassinée des années auparavant dans d'étranges circonstances rôde. Et si l'assassin était parmi les invités ?
    Mary Higgins Clark défie la logique d'un tueur en série. Et nous fait frémir, plus que jamais.

    Roman policier de 445 pages

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    «J'étais, sans le savoir, un enfant heureux, relativement heureux, il est vrai. Mais ce n'était qu'une impression d'ensemble. Car ma vie, même alors, ne manquait pas de petits malheurs auxquels je n'arrivais pas à m'habituer. Il faut remonter à novembre 1944. J'avais treize ans.» Jeff porte sur la lèvre un petit bec-de-lièvre que tout le monde nomme la «cicatrice». Une infirmité dont il ne connaît pas la cause et qui lui vaut moqueries et méchancetés de toutes sortes. Parce qu'il ne sait s'en défendre, il intériorise toute cette douleur, toutes ces blessures morales répétées. À cet âge si sensible, s'enfermant peu à peu, il souffre et fait souffrir ceux qui l'aiment sans réserve...

    Roman de 125 pages

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     « Kafka n’a rien perdu de sa modernité »

    Monsieur Wagenbach, l’œuvre de Kafka est-elle toujours d’actualité ? Quel est l’intérêt de lire encore Kafka aujourd’hui ?
    Je répondrai à cette question en citant Elias Canetti. D’après lui, Kafka est à l’origine d’images du pouvoir indélébiles qu’il offre aux lecteurs intéressés : ce sont autant de messages qui n’arrivent pas à leur destinataire, de chemins introuvables ou inexplicables menant au château, de condamnations incompréhensibles ou encore un procès aux motifs insondables. En somme, tout ce qui fait la bureaucratie. Dans ce labyrinthe administratif, même le pouvoir s’y perd parfois. C’est cela, le monde de Kafka.

    Mais cela décrit aussi, peut-être même plus que jamais, le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui ?
    En tout cas, la bureaucratie et ces structures n’ont, à mes yeux, pas gagné en transparence au cours des quatre-vingts dernières années, bien au contraire. En ce sens, Kafka n’a rien perdu de sa modernité.

    « Eines hilft immer – Lesen » (La lecture est toujours un bon remède) est la phrase d’accueil du site Internet de votre maison d’édition. L’œuvre de Kafka a-t-elle une certaine utilité ou est-elle bien trop empreinte de tristesse existentielle ?
    Ce n’est pas la bonne question et je ne peux donc y répondre. Pourquoi la grande littérature ne pourrait-elle pas être triste et malgré tout - ou précisément pour cette raison - être d’une grande utilité ? Mais elle ne remplit naturellement pas de fonction pédagogique ni ne fournit de conseils. La littérature n’est pas faite pour être utile dans toutes les situations de vie.

    La littérature de Kafka est, en tout cas, considérée comme très sérieuse. Son œuvre est-elle également empreinte d’humour ou d’une certaine forme d’ironie ?
    Mais bien sûr et il y a de nombreux exemples. J’en citerai deux. D’une part, cette merveilleuse nouvelle intitulée Première souffrance, issue du recueil Un Champion de jeûne, publiée peu avant la mort de Kafka. Elle raconte l’histoire d’un artiste de cirque qui ne quitte pas le chapiteau et qui refuse de descendre de son trapèze, même pour prendre ses repas. Kafka explique alors – ce que je trouve fabuleux – que l’air est meilleur en haut. Et lorsque le cirque doit reprendre la route, on amène l’artiste rapidement à la gare pour qu’il puisse directement sauter dans le filet à bagages ! Une histoire folle, amusante et pleine d’humour, mais qui décrit également de manière très détaillée la fascination qu’exerce l’Art, avec un grand A. D’autre part, permettez-moi d’évoquer le non moins célèbre récit Rapport pour une Académie dans lequel, au cours d’une conférence, un singe explique à un aréopage d’académiciens comment il s’est transformé en homme. Elle contient plusieurs phrases du genre : « Mais elle [l’existence] démange aux talons tous ceux qui marchent sur cette terre : le petit chimpanzé comme le grand Achille. » Personne ne peut prétendre que Kafka manquait d’humour !

    L’œuvre de Kafka tient une grande place dans la littérature mondiale. Kafka avait chargé Max
    www.arte.tvBrod, son éditeur et ami, de brûler après sa mort toutes ses œuvres non publiées, dont ses trois grands romans, ce que Brod s’est bien gardé de faire. Avait-il le droit d’agir de la sorte ? Vous qui êtes éditeur, qu’auriez-vous fait à sa place ?
    Je vous réponds sans hésiter que j’aurais fait exactement la même chose. Cela ne se fait pas de brûler des manuscrits. Et ce n’est sûrement pas l’ami, l’admirateur de l’œuvre de Kafka, celui qui l’a toujours encouragé à publier ses écrits qui aurait pu commettre un tel acte. Dans ce cas, l’auteur lui-même savait que cette dernière volonté ne serait probablement pas respectée.

    Dans « Qui était Kafka », le nouveau documentaire de Richard Dindo diffusé lors de la soirée Thema consacrée à l’auteur, le personnage de Max Brod affirme en effet que Kafka savait qu’il ne respecterait pas cette dernière volonté et que s’il y avait vraiment tenu, il se serait adressé à quelqu’un d’autre.
    Oui, c’est également mon intime conviction. Il s’agissait d’une demande ambivalente à laquelle Max Brod a refusé d’accéder, par chance pour la postérité.

    En allemand, le terme « kafkaesk » est employé à tout bout de champ. Quelle est sa signification première ?
    Au premier degré, ce terme désigne des structures inextricables que personne n’est en mesure d’expliquer, telles qu’elles sont décrites dans l’œuvre de Kafka. Mais il ne faut pas oublier que Kafka a souvent été mal compris et que le terme « kafkaesk » est souvent utilisé à mauvais escient. L’accueil que lui ont réservé les Français en est un parfait exemple. Dans les années 1930, l’Anthologie de l’humour noir d’André Breton le classe tout d’abord parmi les surréalistes et il suscite en tant que tel l’enthousiasme des maisons d’édition et des lecteurs. Dans les années 1940, son œuvre est soumise au crible des interprétations existentialistes de Camus et Sartre.
    Il est d’autre part intéressant de souligner que Kafka était déjà célèbre partout dans le monde lorsque, après avoir été interdit par les nazis, il commence à être vraiment lu en Allemagne après la guerre. Kafka est l’un des rares auteurs à jouir d’une renommée internationale lorsqu’il revient dans le pays de la langue dans laquelle il écrit et où il est pratiquement inconnu. Le terme allemand « kafkaesk » décrit d’ailleurs parfaitement cette situation. En Allemagne, l’auteur est découvert dans les années 1920. Ses œuvres y sont ensuite interdites, avant de réapparaître après avoir fait le tour du monde. A l’époque, il est, du reste, déjà très lu en Angleterre et aux Etats-Unis où ses écrits font plutôt l’objet d’interprétations politiques et psychanalytiques, mais c’est probablement après avoir connu la consécration en France qu’il devient mondialement célèbre.

    Quelle a été votre expérience personnelle la plus intense à la lecture de l’œuvre de Kafka ?

    C’était en 1950, lorsque je faisais mon apprentissage chez S. Fischer, la maison d’édition allemande qui a publié Kafka après la guerre. Un jour, mon supérieur m’a demandé d’évaluer un livre allemand qui débutait par ces mots : « Quelqu’un avait dû calomnier Josef K. » Pour moi qui, comme tous les jeunes gens de l’époque, préfèrais lire les auteurs américains comme Faulkner et Hemingway, l’œuvre de Kafka était totalement inédite.
    Mais ma plus belle expérience est un récit que j’ai raconté. Dans le cadre de mes recherches sur l’auteur, je me suis rendu, il y a près de vingt ans, à Triesch, en République tchèque actuelle, où Siegfried Löwy, l’oncle de Kafka, était médecin de campagne et où se déroule la nouvelle Un Médecin de campagne. Devant un petit hôpital, je tendis à un homme un bout de papier sur lequel était écrit en tchèque que je cherchais la maison du médecin de campagne. Il s’agissait du médecin en chef de la clinique qui m’invita en allemand à entrer et commença par dire : « Kafka est interdit. » C’était alors effectivement le cas en Tchécoslovaquie.
    Ensuite, il m’a demandé de lui conter la nouvelle : je me suis donc retrouvé à raconter l’histoire du médecin de campagne de Triesch, de Kafka, au médecin de campagne de Triesch qui m’a dit, une fois que j'avais terminé : « C’est très juste. Belle histoire. » Puis il m’expliqua pourquoi il la trouvait réaliste. Chez Kafka, le médecin de campagne devait savoir tout faire et tout réparer de ses mains frêles. Le médecin de Triesch me raconta alors que, lorsqu’il rendait visite à ses patients, il devait commencer par rétablir le courant. « Un médecin doit savoir tout faire ! »

    Une autre excellente illustration du terme allemand «kafkaesk ». Klaus Wagenbach, merci de cet entretien.

    Source : http://www.arte.tv/fr


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    3 juillet 1883 (Prague) - 3 juin 1924 (Kierling)

    Placée sous le signe d'une triple appartenance – juive, tchèque et allemande –, qui a déterminé l'orientation d'une recherche obstinée sur la loi, la littérature et la vie, l'œuvre de Kafka, reflet singulier des interrogations qui ont agité le début du XXe siècle, a donné lieu à toutes les interprétations : religieuses, existentialistes, politiques, psychanalytiques.

    Désormais entré dans le vocabulaire, l'adjectif «kafkaïen» s'applique communément à une situation angoissante à force d'absurdité, à un système dont les lois échappent à celui qui en est prisonnier. Glissement de sens réducteur, qui fait apparaître les personnages de Kafka comme d'impuissantes victimes et assombrit désespérément son univers, alors que s'y manifestent les forces subversives de la révolte et de l'humour, à travers une technique narrative de plus en plus dépouillée au fil de son œuvre.

    Un combat perdu d'avance :

    Elle est la conception de l'existence donnée dans Description d'un combat (1909) par celui dont la vie n'est qu'une succession d'insatisfactions, de fiançailles rompues, d'œuvres inachevées. Né à Prague le 3 juillet 1883, Franz Kafka est l'aîné de quatre enfants, et le seul garçon (deux autres garçons, nés en 1885 et 1887, mourront en bas âge). Sa mère, Julie Kafka, née Löwy, est originaire d'une famille aisée de Juifs allemands, où l'on rencontre médecins, rabbins, originaux et marginaux; elle a un demi-frère, Siegfried Löwy, médecin de campagne à Triesch, très cultivé, qui sera pour Kafka une figure de référence. Son père, Hermann Kafka, est issu d'un milieu beaucoup plus modeste; obstiné, il est d'abord marchand ambulant avant d'ouvrir à Prague, au moment de son mariage, un magasin de nouveautés. Il ne cesse d'évoquer l'austérité de sa vie, et, si l'on en croit son fils, de mettre en garde le jeune Franz contre une vie trop facile, même s'il tient à ce qu'il bénéficie d'un enseignement allemand qui lui permette de s'élever socialement: Franz fréquente d'abord l'école primaire allemande, puis le lycée classique d'État de langue allemande. En 1901, il commence sans enthousiasme des études de droit à l'université de Prague. À cette époque, au cours de laquelle il écrit une première et longue nouvelle, Description d'un combat, il aurait fréquenté les cercles socialistes et anarchistes. En 1906, Kafka est docteur en droit. Il fait son stage, travaille quelque temps comme auxiliaire aux Assicurazioni Generali, compagnie particulièrement dure avec ses employés, avant d'obtenir, en 1908, un poste plus confortable à la Compagnie d'assurances ouvrières contre les accidents du travail.

    La vie de Kafka semble alors aussi morose que décousue. Il quitte parfois la maison familiale, soit pour prendre une chambre indépendante, soit pour s'installer chez sa sœur Ottla. Les ruptures succèdent aux fiançailles : avec Felice Bauer, par deux fois, puis avec Julie Wohryzek. En 1917, se manifestent les premiers symptômes de la tuberculose pulmonaire. En 1920, s'engage une correspondance avec Milena Jesenska-Pollak, sa traductrice tchèque : relation épistolaire amoureuse et sans espoir, mais qui repose sur une telle confiance que, en 1921, Kafka confie à la jeune femme la totalité de ses journaux. Peu à peu, son état de santé s'aggrave et rend nécessaire un long séjour en sanatorium, de décembre 1920 à l'automne 1921, puis la mise à la retraite. La tuberculose atteint le larynx et Kafka meurt le 3 juin 1924 au sanatorium de Kierling, près de Vienne, après avoir passé quelques mois à Berlin avec Dora Diamant, la compagne des derniers jours.

    Les velléités d'échapper à la famille, les projets d'en fonder une autre, la relation au père et jusqu'à la tuberculose sont si étroitement liés à l'écriture qu'ils sont indissociables d'une œuvre dont Kafka, comme il l'a exprimé peu de temps avant de mourir à son ami Max Brod, avait souhaité la destruction.

    Le père :

    Il est au centre de l'œuvre : la longue interrogation sur une relation faite de peur et de fascination, d'admiration et de répulsion, trouve son apogée dans la Lettre au père, rédigée en 1919, jamais remise à son destinataire. C'est un réquisitoire, une tentative obstinée pour comprendre, et qui passe en premier lieu par un portrait contrasté des deux parties, non sans une exagération parfois comique. L'opposition est d'abord physique : le fils, fragile, ne peut répondre à l'attente de son père, une espèce de géant dont la force paraît illimitée. Rudesse, injures, menaces, les méthodes employées pour transformer en homme un enfant timoré ne font que renforcer un sentiment d'impuissance déjà bien installé. Pour l'enfant qui se définit lui-même comme craintif, une telle supériorité physique s'accompagne naturellement de supériorité spirituelle, et, à mesure que s'étend le domaine contrôlé et dominé par le père, la possibilité d'une relation d'égalité s'amenuise : «Il m'arrive d'imaginer la carte de la Terre déployée et de te voir étendu transversalement sur toute sa surface. Et j'ai alors l'impression que seules peuvent me convenir pour vivre les contrées que tu ne recouvres pas ou celles qui ne sont pas à ta portée.» Ainsi prisonnier, Kafka cherche des issues, mais il échoue toujours. Le judaïsme du père, où tous deux auraient pu se rencontrer, ne fait que donner au fils l'impression d'un ensemble de pratiques vides de sens. Le choix d'une profession est un leurre, Kafka n'a pas dans ce domaine la foi nécessaire. Quant au mariage, il apparaît plus que tout autre comme le domaine réservé du père, de la vie, de la force, et il est de ce fait interdit au fils.

    La Loi, le judaïsme :

    La Lettre au père n'est pas la peinture innocente d'un malaise psychologique. Elle contient tous les thèmes présents dans l'ensemble de l'œuvre. Biographie et fiction constituent chez Kafka les deux pôles d'une même réalité, qui s'organise autour de la notion de loi. Sans doute est-ce la mise en scène de celle-ci qui a suscité les interprétations les plus variées du Procès (1914), où la loi prend aussi le visage de la bureaucratie, et du Château (1922), mais aussi du Coup frappé à la porte du domaine (1917), d'Un message impérial (1917) et de la Colonie pénitentiaire (1919). La loi présente toujours les mêmes caractéristiques : impénétrable, imprévisible et implacable, elle se dérobe à celui qui la cherche (Le Procès, Le Château), mais punit celui qui la rencontre par hasard (Le Coup frappé à la porte du domaine). L'homme est donc prisonnier d'une double impossibilité : ou bien ne pas connaître, ou bien se trouver anéanti dans l'instant même de la rencontre. En raison des origines de Kafka, on serait tenté de rapprocher cette loi de celle du judaïsme, pour lequel l'écrivain éprouve un sentiment paradoxal, semblable à celui que lui inspire son père : crainte et fascination, attirance et rejet, respect et mépris.

    Le mariage :

    Indissociable de la relation au père et à la loi, le problème du mariage revêt dans l'œuvre et la vie de Kafka une forme symbolique particulière. Pour le père, le mariage du fils représente l'inacceptable. Il voit dans cette volonté d'émancipation sa propre négation. Il condamne donc toute tentative, usant d'arguments moraux de nature à détruire le fils. Le père de la Lettre au père et celui, fictif, du Verdict (1913) réagissent de la même façon négative au projet de mariage. Fonder une famille, élever des enfants, signifie pour Kafka accéder au statut de père, et, du même coup, s'affranchir de la dépendance.

    Les Lettres à Felice (1912-1917) rendent compte du désir violent, ou plutôt de la volonté raisonnée, de se marier, tandis que de toutes ses forces l'être profond se cabre. Car il faut choisir: certes, on peut se libérer du père, tenter d'échapper aux fantômes en s'installant dans la vie, mais le prix à payer pour ce confort n'est-il pas le renoncement à l'écriture ?

    Vivre ou écrire :

    Ni avec Milena ni avec Dora Diamant, Kafka n'est confronté à ce choix cruel. Milena est déjà mariée; quant à Dora, elle est, à Berlin, garde-malade bien plus que candidate au mariage. Ni l'une ni l'autre ne mettent en péril l'œuvre à écrire. Le rapport ambigu entre l'écriture et la vie repose avant tout sur le conflit et l'exclusion. Les Lettres à Felice font apparaître clairement l'incompatibilité entre la vie conjugale et l'activité littéraire. Mais, tout en refusant la cohabitation avec la vie, l'écriture a besoin d'une substance vitale. C'est ainsi que Kafka enferme peu à peu Felice dans un réseau de lettres (il en envoie plusieurs par jour), et, s'il ne reçoit pas de réponse, il est lui-même paralysé dans sa propre activité créatrice. Mais l'écriture comme seul objet de désir risque peu à peu de remplacer la vie. Elle devient sacerdoce. Dans l'esprit d'Un médecin de campagne (1920), une confusion semble s'être opérée entre les notions d'«appel», de «métier» et de «vocation», d'autant plus proches qu'elles ont en allemand la même racine (Ruf, Beruf, Berufung). Et après avoir échoué dans sa tentative pour atteindre les hauteurs du Château, où il pressentait trouver la loi et la vérité, K., devenu animal, s'enfonce dans les profondeurs du Terrier (publication posthume, en 1931), sorte de château inversé, où il se repaît de son œuvre, regrettant néanmoins de ne pouvoir être en même temps dedans et dehors, créateur et spectateur. Entre la vie et l'œuvre, la relation est si étroite qu'en septembre 1917, Kafka écrit à Max Brod : «J'ai quelquefois l'impression que mon cerveau et mes poumons auraient conclu un pacte à mon insu. Ça ne peut pas continuer comme ça, a dit le cerveau, et au bout de cinq ans, les poumons se sont mis à l'aider.»

    Mensonge et subversion :

    Parfaitement conscient d'être pris dans un paradoxe insoluble, persuadé, d'autre part, que ce paradoxe est la seule réalité qui existe, du moins pour lui, Kafka l'illustre en manipulant insidieusement le mensonge et la subversion. Il délègue à ses personnages la double fonction de victimes et de fauteurs de troubles. L'ironie et la force subversive de ses textes résident dans le jeu entre la surface et les profondeurs, la vérité apparente et le mensonge réel. Ainsi, dans les premières pages du Château, K. ne cesse de mentir ou de se contredire. Tout en donnant à ses personnages les caractéristiques de la victime, Kafka glisse furtivement d'autres indices, parfois à peine visibles, qui réduisent à néant ce qui vient d'être suggéré : jeu avec le lecteur qui met en évidence le décalage entre illusion et réalité, erreur et vérité. Il en résulte un effet comique particulièrement destructeur, de sorte qu'il ne reste plus qu'un rire feutré, celui que fait entendre Kafka lorsqu'il s'observe dans le monde. C'est le rire prémonitoire, «sans poumons», du petit Odradek, héros tragi-comique du Souci du père de famille (1919), véritable condensé de la thématique kafkaïenne, où l'auteur s'amuse à brouiller les pistes et, avec une liberté souveraine, dévoile par glissements progressifs, sur le mode de l'interrogation – faussement – candide, la vanité de toute activité, y compris la sienne.

    L'effet de distance ironique est soutenu par le style d'un auteur qui vit en étranger dans la langue allemande. Consciemment, Kafka renonce toujours plus à la richesse lexicale et évolue vers le dénuement, tandis que les métaphores disparaissent progressivement. Il s'agit d'atteindre par des voies aussi rapides que possible le cœur de la réalité, et la tension grammaticale compense l'apparente pauvreté lexicale. Les images encore présentes n'ont plus valeur lyrique, elles sont la représentation directe de la réalité entrevue.

    Source : http://mondalire.pagesperso-orange.fr

     

    Données encyclopédiques, copyright © 2001 Hachette Multimédia


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