• Dès 1966, Francis Ryck (Yves Delville, 1920-2007) apporte un ton inédit en créant dans ses ouvrages (de type « espionnage ») un personnage nouveau, marginal et contestataire, en proie au doute et à l'utopie (Opération millibar). Cinq ans plus tard, Jean-Patrick Manchette (1942-1995) publie L'Affaire N'Gustro (inspiré par l'enlèvement à Paris du leader de l'opposition marocaine Mehdi Ben Barka) et surtout Nada (1972), une réflexion sur le terrorisme gauchiste. Puis avec Morgue pleine (1973) et Que d'os (1976), il met en scène un privé à la française, Eugène Tarpon, qui jette sur notre société un regard désabusé. Théoricien et esthète intransigeant, styliste exigeant (il met au-dessus de tout la qualité de l'écriture), Manchette, en renouvelant la tradition béhavioriste américaine, donne un souffle novateur au genre tout entier. Durant la même période, A.D.G. (1947-2004) décrit avec verve le Berry profond (La Nuit des grands chiens malades, 1972) et Jean Vautrin (né en 1933), le mal de vivre des banlieues-dortoirs (À bulletins rouges, 1973). Emmanuel Errer (1934) met en scène d'anciens mercenaires manipulés (Descente en torche, 1974). Alain Demouzon (né en 1945) explore la vie dans les lotissements modernes (Bungalow, 1981) et Joseph Bialot (1923) raconte un racket dans le quartier parisien de la confection (Le Salon du prêt-à-saigner, 1978). Pierre Siniac (1928-2002), qui débute en 1960, publie quelques ouvrages subversifs comme Les Morfalous (1968), charge virulente contre l'armée, avant de créer Luj Inferman et La Cloducque, deux traîne-savates qui manifestent à l'égard de la société une amère lucidité.

    Ce bouillonnement ne masque cependant pas une grave crise du lectorat qui se prolonge jusqu'au début des années 1980. Après un calme passager, de nouvelles collections (Engrenage, Sanguine, Red Label) accueillent de jeunes auteurs. Le souci de ces derniers est d'écrire des polars qui prennent en compte la réalité quotidienne française. Si ce procédé systématique a pu rimer avec médiocrité, le temps faisant son œuvre a retenu les meilleurs. L'un des premiers à se singulariser est Didier Daeninckx (né en 1949), qui fait resurgir des épisodes occultés de l'histoire. Son Meurtres pour mémoire (1984) évoque le massacre d'Algériens à Paris durant la manifestation du 17 octobre 1961. Thierry Jonquet, adepte du fait-divers, tisse des récits de noires vengeances. Son cauchemardesque Mygale (1984) est inspiré d'une émission sur les transsexuels. Pour peindre des personnages souvent décalés, Michel Quint choisit le Nord (Hôtel des deux roses, 1986) et Marc Villard le quartier de Barbès (Rebelles de la nuit, 1987). Patrick Raynal éclaire les zones d'ombre de Nice (Fenêtre sur femmes, 1988 ; Né de fils inconnu, 1995) et Jean-Paul Demure les turpitudes d'Aix-en-Provence (Aix abrupto, 1987). Hervé Jaouen nous fait visiter les arcanes d'une banque bretonne en butte à des syndicalistes (Le Crime du syndicat, 1984), alors que Jean-François Vilar se promène dans Paris, attentif à chaque trace et aux trahisons du temps qui passe (Bastille tango, 1986). Gérard Delteil débute avec un thriller politique (Solidarmoche, 1984). Jean-Bernard Pouy, dans un récit plein de fantaisie, évoque Rimbaud et Jeanne d'Arc (Nous avons brûlé une sainte, 1984). Hugues Pagan, commissaire de son état, met en scène des policiers désabusés (La Mort dans une voiture solitaire, 1982). Daniel Pennac inverse les stéréotypes en dotant son héros d'une famille nombreuse et d'un métier insolite, bouc émissaire professionnel (la tétralogie « Malaussène », 1985-1995).

    Ce renouveau va se traduire par la création, en 1986, de la collection Rivages/Noir, dirigée par François Guérif. Celui-ci manifeste une exigence exemplaire en privilégiant les traductions intégrales et non plus tronquées, en valorisant les auteurs, la diversité d'inspiration et les qualités stylistiques. Le respect de ces principes et l'engouement du public pour cette collection conduisent à une modification du paysage éditorial, incitant d'autres collections, comme Le Masque ou La Série noire, à se renouveler. Cela fait bien l'affaire d'une nouvelle vague de romanciers parmi lesquels : Tonino Benacquista (La Commedia des ratés, 1991), Jean-Hugues Oppel (Ambernave, 1995), Daniel Picouly (Les Larmes du chef, 1994), Pascal Dessaint (La vie n'est pas une punition), Jean-Jacques Reboux (Le Massacre des innocents), Olivier Thiébaut (L'Enfant de cœur), Michel Chevron (Fille de sang) et surtout Jean-Claude Izzo (Total Kheops, 1995) dont les romans, plébiscités par le public, sont une passionnante chronique de Marseille.

    Le même phénomène est perceptible chez les auteurs féminins. Entre 1992 et 1997, plus d'une quarantaine d'entre elles publient au moins un roman. Les plus connues, souvent primées, choisissent le roman noir comme Stéphanie Benson (Les Compagnons du loup), Nadine Monfils (Une petite douceur meurtrière), Maud Tabachnik (Le Festin de l'araignée), Sylvie Granotier (Dodo), Pascale Fonteneau (Otto), Dominique Manotti (Sombre sentier), Claude Amoz (Bois brûlé), Dominique Sylvain (Vox), Chantal Pelletier (Le Chant du bouc), Laurence Biberfeld (Le Chien de Solférino). Si Virginie Brac flirte avec le fantastique (Cœur caillou) pour évoquer certaines laideurs de ce monde, d'autres excellent dans le thriller comme Andrea Japp (Le Sacrifice du papillon) et Brigitte Aubert (La Mort des bois), ou dans le polar historique comme Anne de Leseleuc, Claude Izner, Viviane Moore, Arlette Lebigre, Béatrice Nicodème, les sœurs Tran-Nhut ou Dominique Muller, à l'instar de quelques spécialistes masculins comme Jean Contrucci et ses mystères de Marseille, Marc Pailler, Jean-François Parot, Frédéric Fajardie et ses héros aux foulards rouges, Armand Cabasson et son épopée napoléonienne, Hervé Le Corre et la Commune de Paris (L'Homme aux lèvres de saphir, 2004) ou encore Patrick Boman avec son truculent Peabody, inspecteur de police quand l'Inde était encore colonie britannique. Un peu en marge de ces genres déterminés, Fred Vargas (Debout les morts, 1995 ; Pars vite et reviens tard, 2001) apparaît comme un phénomène littéraire étonnant.

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    Traduit dans plus de trente-cinq pays, récompensé par de nombreux prix non seulement en France, mais aussi en Allemagne et au Royaume-Uni, Vargas a bâti livre après livre un univers singulier au sein duquel son protagoniste, le commissaire Adamsberg, sorte de personnage lunaire, ne ressemble à aucun autre enquêteur. Le point de départ de chaque récit est insolite, voire déconcertant, tandis que l'écriture, où les aphorismes le disputent aux digressions et aux métaphores, est singulièrement jubilatoire.

    Parmi les auteurs masculins, Paul Halter reste fidèle à l'énigme classique et aux problèmes de chambres closes (La Lettre qui tue), tandis que Serge Brussolo se spécialise dans le thriller angoissant (Les Enfants du crépuscule). Et comme rien n'est jamais figé, certains lorgnent vers d'autres horizons, plus futuristes. Maurice Dantec cherche à savoir ce que sera le Mal au XXIesiècle (Les Racines du mal, 1995), tandis que Paul Borelli raconte une enquête policière en 2021 dans un Marseille en pleine déglingue (L'Ombre du chat). Sans doute faut-il voir là une piste nouvelle marquant l'influence de Philip K. Dick chez certains de nos écrivains. Mais force est de constater que cette voie amorcée depuis plus de dix ans n'a jamais été explorée depuis lors.

    En octobre 1995, Jean-Bernard Pouy et les éditions Baleine créent l'événement en imaginant le Poulpe. Ce personnage insolite est un jeune libertaire qui enquête sur des faits-divers. Chacune de ses aventures est confiée à un auteur différent, chevronné ou débutant. La série obtient à ses débuts un vrai succès public, mais l'absence de sélection dans les titres proposés provoque une désaffection des lecteurs. Si bien que, au bout de huit ans (1995-2003), la collection s'arrête avec 157 titres à son catalogue.

    Phénomène récent, le succès public du livre de Jean-Christophe Grangé, Les Rivières pourpres (1998), a contribué à l'émergence de jeunes auteurs de thrillers à la française.

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    Parmi ces jeunes pousses dont les ventes ne laissent de surprendre, on peut citer : Maxime Chattam, Franck Thilliez, Éric Hossan, D.O.A, Philip Le Roy, Mikael Ollivier, Thierry Vieille, Caryl Férey...

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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  • Après la Seconde Guerre mondiale, le roman noir américain va influencer beaucoup de romanciers français et, plus tard, les générations des années 1970-1980. Mais les vrais pères du « néo-polar » sont sans aucun doute Léo Malet (1909-1996) et Frédéric Dard (1921-2000). Ancien surréaliste, Malet, en 1941, avait commencé à écrire, sous pseudonymes américains, des récits censés se dérouler aux États-Unis. Il innove deux ans plus tard avec 120, rue de la Gare (1943) et transpose l'univers du privé américain en France. Ce dernier prend l'apparence de Nestor Burma, un détective pittoresque et humain, qui va mener une foule d'enquêtes.

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    À partir de 1954, Malet l'utilise dans une série ambitieuse, Les Nouveaux Mystères de Paris (1954-1958), dont chaque épisode se déroule dans un arrondissement de Paris. Si la saga ne fut jamais achevée (quinze arrondissements sur vingt furent visités), elle reste un étonnant témoignage sur le Paris des années 1950. Frédéric Dard commence en 1940 par publier des ouvrages sans rapport avec le genre policier, avant de signer, à partir de 1945, des romans noirs, durs et violents, en usant de divers pseudonymes. Mais c'est sous le nom de San Antonio qu'il va connaître le succès, grâce à sa série truculente consacrée au commissaire homonyme (Réglez-lui son compte, 1949) et à son acolyte, l'infâme Bérurier.

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    S'ils ont marqué le genre, ces deux incontournables ne doivent pas occulter l'importance de l'œuvre de Jean Meckert (1910-1995) qui débute en 1942 à la N.R.F. avec Les Coups. À partir de 1950, sous le pseudonyme de John (puis Jean) Amila, il publie une série d'excellents romans noirs (Ya pas de Bon Dieu ! ; La Lune d'Omaha ; Le Boucher des Hurlus...) parfaite synthèse entre roman populiste français et roman noir américain.

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    Si les préoccupations sociales d'Amila sont évidentes dans chacun de ses livres, il reste pour l'époque une exception. Aux quartiers populaires, la mode préfère l'exotisme de Pigalle et de ses gangsters parisiens. Albert Simonin (1905-1980), surnommé « le Chateaubriand de la pègre », devient célèbre en recevant le prix des Deux Magots pour son chef-d'œuvre Touchez pas au grisbi (1953). Il récidive avec la trilogie du Hotu (1968), passionnante chronique sociale du milieu parisien des années 1920. Si cet autodidacte manie un argot coloré qui rend son style rare et inimitable, la plupart de ses épigones sont aujourd'hui oubliés, exception faite d'Auguste Le Breton (Du rififi chez les hommes, 1953) ou de José Giovanni (Le Deuxième Souffle, 1958).

    Boileau et Narcejac théorisent sur le suspense, « roman de la victime ». Lorsqu'ils passent à la pratique, c'est le succès avec Celle qui n'était plus (1952) et D'entre les morts (1954), adaptés au cinéma par H. J. Clouzot (Les Diaboliques) et Alfred Hitchcock (Vertigo). Ils explorent aussi la voie du pastiche (Le Second Visage d'Arsène Lupin), comme Viard et Zacharias qui réécrivent Hamlet (L'Embrumé, 1966). Une dizaine d'années plus tard, l'érudit René Réouven (René Sussan) imaginera de nouvelles enquêtes de Sherlock Holmes (L'Assassin du boulevard, 1985). Cette verve parodique, lancée par Cami (Aventures de Loufock Holmes, 1926), connaît de nombreux adeptes comme Jypé Carraud avec son détective Stanislas Perceneige (Le Squelette cuit, 1950). Clarence Weff (Alexandre Valletti) dans Cent Briques et des tuiles (1964) imagine un gang qui dévalise un magasin en jetant la recette dans la hotte du père Noël. Jean-Pierre Ferrière fait enquêter deux vieilles filles, les sœurs Bodin, dans Cadavres en solde (1957). Fred Kassak (Pierre Humblot) passe du noir absolu (On n'enterre pas le dimanche, 1958) à la farce inspirée, avec Bonne Vie et meurtres (1969). Jusqu'à Georgius, le célèbre chanteur de café-concert, qui sous le pseudonyme de Jo Barnais propose une visite des grands lieux du music-hall parisien, devenus le théâtre d'une série de crimes (Mort aux ténors, 1956). Dans ce domaine, la palme revient sans doute à Charles Exbrayat (1906-1989), sorte de touche-à-tout du polar, avec ses séries humoristiques consacrées à Romeo Tarchinini, commissaire à Vérone (Chewing-gum et spaghettis, 1960) et à son amazone écossaise, la célèbre Imogène McCarthery (Ne vous fâchez pas Imogène, 1959). Prolifique, Exbrayat excelle dans le polar « chronique du terroir » (Le Clan Morembert), où s'illustrent Claude Courchay (Le Chemin de repentance, 1984) et Pierre Magnan, avec son commissaire Laviolette (Le Sang des Atrides, 1978). Exbrayat sait aussi bâtir d'excellents suspens (Vous souvenez-vous de Paco ?, 1958), un genre prisé par Jean-François Coatmeur, auteur de solides récits presque toujours ancrés dans la réalité sociale bretonne (Nocturne pour mourir, 1959 ; Les Sirènes de minuit, 1976). Dans la même veine, Noël Calef publie en 1956 deux chefs-d'œuvre, Échec au porteur et Ascenseur pour l'échafaud, Michel Cousin, La Puce à l'oreille (1963), et Sébastien Japrisot, Piège pour Cendrillon (1962). Georges-Jean Arnaud (né en 1928) et Michel Lebrun (1930-1996) ne se rattachent à aucun courant, sinon celui de la littérature populaire. Arnaud est prolifique. Avant l'émergence du roman noir social français, son œuvre adopte une tonalité contestataire. Il met souvent en scène de simples citoyens en butte à la violence et aux manipulations des divers pouvoirs qui mènent le monde. Michel Lebrun (Le Géant, 1979), qui a abordé tous les styles, a été surnommé « le pape du polar ». Autodidacte érudit et théoricien, il a consacré beaucoup de son temps à réhabiliter le genre policier, souvent considéré comme mineur et méprisable.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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  • Le roman policier semblait figé dans un manichéisme fort simple entre bons policiers et méchants bandits lorsque Dashiell Hammett (1894-1961), puis quelques années plus tard Raymond Chandler (1894-1960) font éclater le genre en créant ce qu'on baptisera plus tard le roman noir. Après La Moisson rouge (1929) et Sang maudit (1929), deux enquêtes menées par le Continental Op dans un climat d'extrême violence, Le Faucon maltais (1930) a pour protagoniste le détective privé Sam Spade, « un sauvage qui ne renonce pour rien au monde à appeler un chat un chat », selon la formule d'Ellery Queen. Ce roman confirme une rupture non seulement avec le style anglo-saxon classique remplacé ici par une écriture béhavioriste, mais aussi avec les règles morales du genre.

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    Ancien détective privé à l'agence Pinkerton, Hammett se montre sans illusion sur l'individu, même s'il fut lié avec les milieux de la gauche américaine.

    Chandler ira plus loin encore avec son privé hard-boiled Philip Marlowe (Le Grand Sommeil, 1939). Le privé désabusé et cynique qui évolue aux confins de la légalité est, chez Chandler, un homme d'honneur qui mène son enquête dans un univers de policiers corrompus et de requins de la finance.

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    Outre Le Grand Sommeil, le cycle Marlowe comprend Adieu ma jolie (1940), La Grande Fenêtre (1942), La Dame du lac (1943), Fais pas ta rosière (1949), The Long Good-Bye (1953 ; dont Sur un air de navaja constitue la première traduction amputée de cent pages), Charade pour écroulés (Play Back, 1958) et Marlowe emménage (1989), ouvrage achevé par Robert B. Parker et dans lequel le détective se marie.

    Dans divers écrits théoriques et dans ses lettres, Chandler s'est élevé contre le policier classique réservé « aux vieilles dames des deux sexes ou sans sexe du tout ». Son monde est « celui où personne ne peut marcher tranquillement le long d'une rue noire, parce que la loi et l'ordre sont des choses dont on parle mais qu'on ne met pas en pratique ».

    Le succès de Chandler et de Hammett a occulté l'œuvre de l'un des meilleurs connaisseurs de la pègre américaine : William Riley Burnett (1899-1982), auteur du Petit César (1929), récit de l'ascension et de la chute de César Bandello, caïd d'un gang italien de Chicago, puis de Quand la ville dort (1949), récit minutieux d'un hold-up et de ses conséquences. Il écrit scénarios et romans jusqu'à son dernier souffle et signe, à l'âge de quatre-vingt-deux ans, son trente-cinquième et ultime ouvrage, l'excellent Good-Bye Chicago (1981). Cette école littéraire, au style sec, dépouillé, brutal, est plus ou moins appréciée en raison du réalisme qui imprègne ses œuvres. Chandler le redit : « Les personnages, le cadre et l'atmosphère doivent être réalistes. Il doit s'agir de gens réels dans un monde réel... » Et il ajoute : « La solution du mystère doit échapper à un lecteur raisonnablement intelligent. » L'énigme passe donc au second plan.

    Finalement le roman noir va s'imposer avec quelques romanciers incontournables : James Cain (Le facteur sonne toujours deux fois, 1934 ; Assurance sur la mort, 1936), Horace Mac Coy (Un linceul n'a pas de poches, 1937), Johathan Latimer (Quadrille à la morgue, 1936). Considérés comme de grands écrivains, ils donnent des lettres de noblesse au roman hard-boiled, mais il faut aussi des intermédiaires (ceux-là sont britanniques) sachant toucher un public populaire comme James Hadley Chase (1906-1985) avec Pas d'orchidées pour miss Blandish (1939) et avant lui Peter Cheyney (1896-1951), qui imagine l'agent du F.B.I. Lemmy Caution dans Cet homme est dangereux (1936). Ces deux faux Américains Chase et Cheyney  vont devenir les best-sellers en France de la Série noire, collection fondée en 1945 par Marcel Duhamel, qui accueillera Jim Thompson, Ross MacDonald, David Goodis, Donald Westlake, Chester Himes, Ed McBain, Bill Pronzini...

    N'oublions pas Mickey Spillane, dont la brutalité, le goût pour le sexe et la violence font sensation dans J'aurai ta peau (1949), où il impose le détective privé new-yorkais Mike Hammer, adepte de la vengeance et de la loi du talion, qui exécute les mauvais garçons en ajoutant « ça économisera les frais de procès ». Il suffit de comparer les romans de Spillane avec « les affaires classées » de Roy Vickers pour mesurer l'évolution que connaît alors le roman policier.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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  • En 1892, la France est touchée par une vague d'attentats anarchistes. Un an plus tard, Vaillant jette une bombe dans la salle des séances de la Chambre des députés. Des noms deviennent familiers au public : Ravachol, Bonnot et sa sinistre bande... Une nouvelle peur saisit les possédants. Dans Le Matin daté du 7 décembre 1909, Léon Sazie (1862-1939) crée Zigomar, l'un des premiers rois du crime de papier. Revêtu d'une cagoule rouge, il dirige en zozotant le gang des Z (« za la vie, za la mort ») avec lequel il affronte l'inspecteur Paulin Broquet. Parfaite incarnation du mal, il précède le célèbre Fantômas (1911) que l'on présente ainsi :

    Allongeant son ombre immense/
    Sur le monde et sur Paris,
    Quel est ce spectre aux yeux gris
    Qui surgit dans le silence ?
    Fantômas, serait-ce toi ?
    Qui te dresses sur les toits ?

    Qui est Fantômas ? « Rien et tout », « Personne mais cependant quelqu'un », « Enfin, que fait-il ce quelqu'un ? Il fait peur. »

    Ainsi est présenté par ses auteurs, Pierre Souvestre (1874-1914) et Marcel Allain (1885-1969), celui qui se définit comme « le maître de tout ». Fantômas est le génie du mal. Et lorsqu'il disparaît en mer, dans La Fin de Fantômas en 1913, la France pousse un soupir de soulagement. Pas pour longtemps... Car, outre Sazie qui narre les exploits criminels de Zigomar jusqu'en 1924, Arthur Bernède (1871-1937) imagine Belphégor, le fantôme du Louvre, et Gaston Leroux crée Chéri-Bibi, le féroce bagnard marqué par le destin (« Fatalitas ! », dit-il en toute occasion), descendant indirect du Rocambole de Ponson du Terrail.

    Mais on découvre vite que, par son caractère individualiste, l'anarchiste ne met guère en péril la société. Du coup, il paraît même sympathique et l'intérêt des auteurs de roman policier va souvent se déplacer du justicier vers le criminel. Beau-frère de Conan Doyle, E. W. Hornung (1866-1921) ouvre la voie en lançant dans le Cassell's Magazine de juin 1898, l'anti-Holmes, le gentleman-cambrioleur A. J. Raffles, qui aura pour disciples le Loup solitaire de Louis J. Vance (1879-1933), Simon Templar dit le Saint, de Leslie Charteris (1907-1993), le Baron, un aventurier créé en 1937 par John Creasey (1908-1973).

    Inspiré par l'anarchiste Marius Jacob qui ne tuait pas mais volait les riches pour le plus grand profit desimages organisations libertaires, voici que paraît en 1905, dans Je sais tout, le personnage d'Arsène Lupin, qui deviendra bientôt aussi populaire que d'Artagnan. L'éditeur Lafitte réussit à convaincre Maurice Leblanc (1864-1941) de donner une suite aux aventures de ce sympathique cambrioleur que frac et monocle transforment en homme du monde accompli sur les couvertures des fascicules dessinées par Léo Fontan. Le personnage de Lupin défie la société mais sans les démonstrations sanglantes de Fantômas ou le côté mal élevé des Pieds Nickelés. Il aura en conséquence de nombreux imitateurs : Edgar Pipe d'Arnould Galopin ; Samson Clairval de Francis Didelot ; le Pouce, l'Index et le Majeur de Jean Le Hallier ; et quelques décennies plus tard, en 1957, Terence Lane surnommé L'Ombre, d'Alain Page.

    Ce n'est plus le chasseur mais le gibier qui va compter dans un type de roman « criminel » où l'énigme s'efface devant « la traque » et les efforts de l'assassin pour s'échapper. À cet égard, Francis Iles (alias Anthony Berkeley Cox) ouvre la voie avec Préméditation (1931), histoire d'un médecin assassin, et Complicité (1932) ou l'assassin vu par sa victime. Le procédé débouche sur le suspense où vont exceller des auteurs aussi différents que William Irish (Lady Fantôme, 1942 ; La Sirène du Mississippi, 1947 ; J'ai épousé une ombre, 1948), Boileau et Narcejac (Celle qui n'était plus, 1952) ou Patricia Highsmith (L'Inconnu du Nord-Express, 1950).

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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  • Dans les histoires de Poe, le personnage essentiel est le détective. L'assassin importe peu et la victime encore moins. Le véritable héritier de Poe s'appelle Émile Gaboriau (1832-1873).

    Secrétaire du romancier Paul Féval, Gaboriau se lie avec un ancien inspecteur de la sûreté, Tirabot, lequel lui inspire L'Affaire Lerouge (1866). Considéré comme le premier roman policier dans le monde, ce texte a pour protagoniste le père Tabaret, un inspecteur de la sûreté surnommé Tire-au-clair. Il enquête sur la mort de la veuve Célestine Lerouge, découverte égorgée dans sa maison, Porte d'Italie, secondé par un policier débutant du nom de Lecoq, sonorité qui fait songer à Vidocq.

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    Personnage central des enquêtes suivantes (Le Crime d'Orcival, 1866 ; Le Dossier 113, 1867 ; Monsieur Lecoq, 1868 ; et La Corde au cou, 1873), Lecoq est le premier policier à pratiquer des déductions logiques à partir de l'examen d'indices ou d'analyses scientifiques comme l'étude d'empreintes ou de moulages.

    L'influence de Gaboriau sera considérable. Son meilleur disciple reste Fortuné du Boisgobey (1821-1891), auteur de La Vieillesse de M. Lecoq (1877). Mais il faudrait citer aussi le Maximilien Heller (1871) d'Henry Cauvain (1847-1899) et la plupart des œuvres d'Eugène Chavette (1827-1902), comme La Chambre du crime (1875), Le Roi des limiers (1879), La Bande de la belle Alliette (1882), ou de Pierre Zaccone (1817-1895), notamment signataire de Maman Rocambole (1881) et du Crime de la rue Monge (1890).

    Arthur Conan Doyle (1859-1930) va pourtant surpasser ses rivaux en créant le plus célèbre des .détectives, Sherlock Holmes. Pourquoi le locataire du 221 B Baker Street l'emporte-t-il sur ses prédécesseurs ? Parce qu'il est fils du positivisme qui domine la seconde moitié du XIXesiècle. C'est alors l'apothéose de l'esprit scientiste. On retrouve chez Holmes ce goût pour la compilation et la classification des données qui en fait le fils d'Auguste Comte, de Stuart Mill et de Darwin.

    imagesSherlock Holmes apparaît pour la première fois dans Une étude en rouge, en 1887. À la demande du public, les nouvelles et les romans publiés dans le Strand Magazine doivent à nouveau mettre en scène Holmes. Mais Doyle, lassé d'un personnage aussi encombrant (sa préférence allait au roman historique), essaie de le faire mourir dans Le Dernier Problème (The Memoirs of Sherlock Holmes). Devant le flot des protestations, il doit se résigner à le ressusciter. Au total, le cycle comprend, entre 1887 et 1927, quatre romans et cinquante-six nouvelles. Grâce à Conan Doyle, la vogue du roman policier va vite s'étendre et, dans le domaine de la littérature populaire, Holmes trouve un équivalent dans le personnage de Nick Carter. Cet enquêteur new-yorkais créé par John Coryell, dans le New York Weekly du 18 septembre 1886, soit un peu avant l'apparition du grand maître britannique, connaîtra plus de deux mille aventures dans les Dime Novels, ces fascicules populaires américains vendus dix cents. L'écrivain belge Jean Ray (1887-1964) poursuit la tradition à partir de 1932 avec Harry Dickson, surnommé « le Sherlock Holmes américain » bien qu'il vive à Londres. À un niveau supérieur figure le docteur John Thorndyke, enquêteur au savoir encyclopédique, créé par le Britannique Austin Freeman (1862-1943) dans L'Empreinte rouge (The Red Thumb Mark, 1907), le premier d'un cycle de dix volumes. Plus haut encore, c'est le père Brown, « détective du bon Dieu », imaginé en 1910 par le romancier et philosophe londonien Gilbert Keith Chesterton  (1874-1936) et héros de cinquante et une nouvelles rassemblées dans cinq recueils dont La Clairvoyance du père Brown (The Innocence of Father Brown, 1911) et La Sagesse du père Brown (The Wisdom of Father Brown, 1914). Ce qui caractérise Brown, petit prêtre au visage rond et plat, c'est sa pratique du sacrement de la confession (le Hitchcock de La Loi du silence [I Confess] est déjà là). Elle lui assure une excellente connaissance des ruses criminelles. « Ces choses s'apprennent. Ce qui ne peut se faire à moins d'être prêtre. Les gens viennent et se racontent. »

    Citons aussi : le savant Van Dusen surnommé « la Machine à penser », créé en 1905 (Le Problème de la cellule 13) par l'Américain Jacques Futrelle (1875-1912) qui disparaît lors du naufrage du Titanic ; le détective privé londonien Martin Hewitt, créé en 1894 et présent dans dix-neuf nouvelles d'Arthur Morrison (1863-1945) ; et surtout Rouletabille, le personnage le plus célèbre de Gaston Leroux (1868-1927) qui apparaît en 1907 dans Le Mystère de la chambre jaune. Issu d'un milieu aisé, chroniqueur judiciaire et grand reporter, Leroux entend concurrencer sur leur terrain Poe et Doyle en reprenant un problème de chambre close. Mais, cette fois, il ne ménage aucune ouverture qui puisse permettre à un singe ou à un serpent de s'introduire dans la place. Il situe la solution dans une autre perspective, celle du temps. Les cris entendus n'accompagnent pas mais suivent l'agression.

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    Le détective qui résout l'énigme est un pigiste au journal L'Époque, Rouletabille, qui, comme Dupin ou Holmes, fait appel au « bon bout de la raison ».

    Conan Doyle avait produit avec Holmes un personnage dont la postérité ne devait pas s'éteindre. Le Philo Vance de Van Dine (La Mystérieuse Affaire Benson, 1923 ; L'Assassinat du canari, 1927), les trois justiciers d'Edgar Wallace ; Hercule Poirot, le policier belge d'Agatha Christie ; Lord Peter Wimsey, de Dorothy Sayers ; l'inspecteur French, de Freeman Wills Crofts ; Ellery Queen (pseudonyme de deux cousins, Lee et Dannay), qui apparaît en 1929 avec Le Mystère du chapeau de soie, et dont les aventures constituent un véritable cycle ; l'avocat Perry Mason, cher à Erle Stanley Gardner ; l'homme aux orchidées, Nero Wolfe, de Rex Stout : autant de descendants de Sherlock Holmes qui luttent victorieusement contre le crime.

    Il arrive que le détective soit une femme (miss Marple, chez Agatha Christie), un Chinois (le célèbre Charlie Chan, imaginé par Earl derr Biggers, connu surtout pour ses fausses citations de Confucius, du type : « Un homme sans ennemi est comme un chien sans puces ») ou un Japonais (M. Moto, chez John Marquand). N'oublions pas le séduisant M. Wens, créé par Stanislas André Steeman et incarné à l'écran par Pierre Fresnay (Le Dernier des six, 1941 ; L'assassin habite au 21, 1942) ; Le capitaine Bulldog Drummond de Sapper ; l'avocat Prosper Lepicq dans les romans pleins d'humour de Pierre Véry, et le journaliste Doum lancé dans d'étranges enquêtes par Jean-Louis Bouquet, sans négliger frère Boileau, création de Jacques Ouvard (pseudonyme du prêtre Roger Guichardan), le juge Allou de Noël Vindry, et le commissaire Gilles, de Jacques Decrest. Le plus illustre demeure, bien sûr, le commissaire Maigret, policier de la P.J., le pas pesant, la pipe à la bouche, nourri de sandwiches et de bière, tel que l'a imaginé Simenon, et qui fait ses débuts dans Pietr le Letton, en 1931, un an après la mort de Conan Doyle. Point de raisonnement, de déduction savante chez Maigret, mais un effort pour comprendre la crise, le plus souvent psychologique, qui a conduit au drame.

    De la défense de la société on est passé à la compréhension du criminel, mais le policier est toujours là, tout à la fois énergique et humain. Ses aventures conservent, même chez Simenon, une facture classique. Au départ, une énigme : la solution apportée sera logique mais inattendue pour le lecteur. Une règle reste assez suivie : le lecteur et le policier doivent avoir des chances égales de trouver la clé du mystère.

    Des collections se créent : Le Masque, en 1927, qui accueille Agatha Christie, Steeman, Sax Rohmer, Valentin Williams, Léon Groc..., et l'Empreinte, en 1929, avec John Dickson Carr, qui ne dédaigne pas le fantastique, Crofts, Biggers, Ellery Queen...

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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