• Le livre imprimé s'était lentement dégagé, au cours du XVesiècle, de son modèle manuscrit. Cependant, cette évolution n'était pas entièrement accomplie en 1500. La typographie n'était pas encore normalisée et les caractères romains étaient rarement utilisés en dehors de l'Italie. De plus, la page de titre, en général, n'avait pas encore pris son aspect moderne.

    • La révolution typographique en Europe

    Le triomphe de l'écriture romaine face aux écritures nationales dans toute une partie de l'Europe à partir des années 1530 s'explique d'abord par le prestige de son origine et par celui des lettres latines. Mais aussi par le fait que cette écriture était soutenue par une véritable idéologie. Si en effet la minuscule humanistique apparaît comme une construction bâtarde résultant de l'adaptation de l'écriture caroline par des lettrés de la fin du XIVesiècle et du début du XVesiècle, artistes et calligraphes italiens, désireux d'atteindre une perfection qui ne pouvait être qu'unique, étudièrent avec passion les inscriptions antiques et s'efforcèrent, tel le fameux Luca Pacioli qui était proche de Léonard de Vinci, de déterminer mathématiquement les proportions idéales de la capitale romaine. Alde Manuce reste le principal initiateur de la révolution qui devait provoquer le triomphe de l'écriture ainsi conçue. On sait qu'il s'était associé au grand libraire Andrea Torresano di Asola qui avait repris le fonds de Nicolas Jenson. Il fit réaliser par un graveur de poinçons remarquable, Angelo Griffo, trois séries de caractères : des caractères grecs, des caractères romains et, enfin, les premières italiques connues qui servirent notamment à imprimer une série de textes classiques en format in-octavo, inaugurée par un Virgile en 1501.

    Les caractères romains d'Alde apparurent pour la première fois dans le De aetna de Pietro Bembo (1495). Ils se caractérisent par un allégement des bas de casse, par une subtile répartition des pleins et des déliés et par la présence de plusieurs variantes pour certaines lettres, qui donnent aux pages imprimées un aspect aéré et harmonieux tout en leur conférant un éclairage inédit.

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    Première page du De Ætna, de Pietro Bembo, 1496.

    Ils apparurent complétés et améliorés encore dans le célèbre Hypnerotomachia Poliphili (1499), grâce notamment à des capitales qui semblaient modelées sur les inscriptions antiques et dont les proportions délicates se conformaient aux leçons des théoriciens de la Renaissance italienne qui devaient trouver leur aboutissement dans le traité De divin proportione du frère Luca Pacioli, publié précisément à Venise en 1509.

    À partir de la fin du XVesiècle, tandis que la mode des auteurs antiques se développait un peu partout, de grands libraires étrangers commencèrent à utiliser plus ou moins systématiquement le caractère romain. Il en alla ainsi à Bâle pour Amerbach, à Nuremberg pour Koberger et, un peu plus tard, à Paris pour Josse Bade. Il suffit cependant d'examiner les ouvrages édités par ce dernier pour mesurer le chemin qu'il restait à parcourir pour que le reste de l'Europe rattrapât l'Italie. Bade n'a pas abandonné le goût de l'écriture gothique qu'il juge mieux adaptée lorsqu'il s'agit d'inscrire en gros caractères les éléments les plus frappants du titre ou d'indiquer au haut des pages les titres courants. Il utilise de même volontiers encore des mises en page avec gloses et foliote ses ouvrages en chiffres romains. Cependant, Peter Schoeffer le Jeune et les graveurs bâlois qui dominaient le marché des caractères surent évoluer. Les ouvrages imprimés pour Érasme par Froben, successeur d'Amerbach, utilisent une lettre romaine inspirée de l'aldine et ont déjà une allure moderne. Par ailleurs, Peter Schoeffer le Jeune fut le premier à réaliser hors d'Italie une italique aux capitales penchées (1519).

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    Peter Schöffer (ou Pierre Schoeffer), né vers 1425 et mort vers 1503 à Mayence dans le Saint-Empire romain germanique, est un typographe-imprimeur allemand qui perfectionna l'invention de Gutenberg, la presse typographique. Son habilité technique lui a assuré une place capitale dans l'histoire de l'imprimerie typographique. Source : http://fr.wikipedia.org

     

     

    Il semble que les membres de l'entourage du roi jouèrent un rôle décisif dans l'adoption du caractère romain en France, en une époque où la société civile tout entière vivait dans le culte de Rome et de l'Italie. C'est alors que Geoffroy Tory, qui avait longuement parcouru ce pays et y avait appris le dessin sous les meilleurs maîtres, publia son Chamfleury. Dans cet ouvrage, paru en 1529, et qui était en principe destiné à enseigner aux décorateurs à inscrire en lettres romaines des devises ou des sentences sur les tableaux, les tapisseries, les poutres et les murs des demeures seigneuriales, l'auteur s'efforçait de retrouver des concordances symboliques entre les proportions des caractères romains et celles du corps humain, et de tracer les capitales à l'aide du compas et de la règle. En même temps, il s'affirmait comme un théoricien de l'orthographe. Devenu imprimeur du roi en 1529, il se servit d'une cédille maladroitement réalisée et de deux sortes d'accents lorsqu'il imprima pour Roffet l'Adolescence clémentine de Marot – et cela en 1533, l'année où était précisément publié chez Antoine Augereau, en même temps que le Miroir de l'âme pécheresse de Marguerite de Navarre, un mystérieux livret, la Briefve Doctrine pour deuement escripre selon la propriété du langaige françoys, qui prône notamment l'usage de l'apostrophe.

    Ce fut dans ces conditions que se développa en France une école remarquable de tailleurs de caractères, dont les plus connus sont Simon de Colines, Claude Garamond, Antoine Augereau, Chrétien Wechel, Pierre Haultin et Robert Granjon. Collectivement qualifiées de « garamonds », leurs réalisations se présentent comme des types aldins progressivement modifiés par une gravure plus rigoureuse dans le détail. En même temps, enfin, on voyait s'élaborer à Lyon auprès de Jean de Tournes un style nouveau de typographie, avec l'invention par Bernard Salomon, gendre de Granjon, des « arabesques » et des fleurons, utilisés notamment dans des encadrements de pages, qui renouvelèrent la présentation du livre.

    Ces personnages, d'origine souvent modeste, constituaient un groupe très homogène, lié aux lettrés de l'entourage de Marguerite de Navarre ainsi qu'à des théoriciens de l'orthographe tels qu'Étienne Dolet. Le grand problème était pour eux non seulement de proposer des lettres élégantes, mais de trouver des artifices permettant de mieux traduire les sons de la langue française et de mettre au point des formes de ponctuation favorisant la compréhension d'un texte au cours d'une lecture muette et cursive. On conçoit donc que les alphabets qu'ils gravèrent en étroite liaison avec les grands imprimeurs humanistes de leur temps aient constitué à l'image de celui que réalisa Claude Garamond pour Robert Estienne et qui servit à réaliser l'In linguam gallicam Isagoge de Jacques Dubois, première grammaire française imprimée dans notre pays (1531) des événements non seulement pour l'histoire de la lettre, mais aussi pour celle qu'on appelle l'orthotypographie. C'est à cette époque et dans ces milieux qu'on s'efforce par exemple de distinguer le v du u ou le j du i et que se fixent non seulement les normes de la ponctuation et de l'accentuation modernes, mais aussi celles de l'orthographe, au terme de multiples tentatives et de longues discussions. Ainsi, l'intervention du compositeur contribua-t-elle à provoquer la disparition de variantes et, parallèlement, la nécessité de séparer plus nettement les mots avec l'apostrophe, et aussi les groupes de mots par une ponctuation mieux réglée et plus nette. De sorte que, tandis que les nécessités de la casse provoquaient la suppression de la plupart des abréviations, les accents et les signes de ponctuation que nous connaissons s'y trouvaient introduits. L'art typographique imposa donc une certaine unité et généralisa des pratiques tendant à la clarté. Mais les typographes restèrent hostiles à l'adoption d'une orthographe purement phonétique qui aurait bouleversé leurs méthodes et n'aurait au reste pas permis à l'œil de distinguer les homonymes.

    • Émergence du livre moderne

    C'est dans ce climat que les grands imprimeurs humanistes, et notamment ceux de la famille des Estienne, se firent les initiateurs des mises en texte modernes. Leur influence se manifeste d'abord dans la présentation des pages de titre. Aux titres enrobés dans des formules pompeuses et insérés dans des décors gravés sur bois qui caractérisent la production de Josse Bade ou même de Froben à Bâle succèdent parfois des titres sobres, voire agressifs, dégagés de tout contexte, vite composés non plus d'un mélange disgracieux de capitales et de bas de casse, mais bien de capitales de grandes dimensions, dégageant les mots significatifs. De même l'adresse insérée au bas de la page devient plus sobre et plus claire. Si bien qu'on en arrive à ces chefs-d'œuvre typographiques que constituent par exemple les œuvres de Cicéron données par Robert Estienne en 1538-1540, ou encore la Bible que Jean de Tournes publia en 1554. De telles formulations, cependant, apparaissent aux traditionalistes du temps aussi agressives que de nos jours certaines publicités et ne se rencontrent que dans un nombre réduit de publications, pour seulement quelques décennies. C'est ainsi que les titres des superbes éditions que Simon de Colines, ce metteur en page émérite, donne des différentes œuvres d'Oronce Fine apparaissent insérés dans des encadrements quelque peu maniéristes. Une pratique « publicitaire » s'annonce, qui va réserver une importance de plus en plus grande au décor et bientôt à l'image symbolique dans la présentation des livres qui sera celle de l'époque baroque, où les titres seront gravés en taille douce au centre d'une page remplie de figures allégoriques offrant comme un résumé du contenu de l'ouvrage. La mise en page des textes proprement dits apparaissait encore au début du XVIesiècle essentiellement variable et tributaire des modes de présentation des textes manuscrits. Peu à peu, cependant, se développe un effort de clarification et de normalisation. Là encore, Alde Manuce s'était posé en initiateur en inaugurant, avec ses petites éditions in-octavo en caractères italiques, une nouvelle forme de présentation des grands textes, imprimés dans un format maniable et sans commentaires afin d'en faciliter la lecture cursive.

    Mais le grand nom est évidemment ici celui de Robert Estienne. Il multiplie les efforts pour rendre plus facilement accessibles les textes qu'il publie. D'abord, donc, la Bible aux versets de laquelle il donne dans une édition de 1549 la numération aujourd'hui universellement adoptée. De même, les imprimeurshumanistes, qui éditent les grands classiques et les Pères de l'Église, généralisent la présentation des chapitres en paragraphes numérotés ; cette tâche se trouvera achevée à la fin du XVIesiècle, et on cite encore de nos jours Platon et les Moralia de Plutarque selon l'édition de Henri II Estienne, fils de Robert Estienne. En même temps, Robert Estienne et ses émules s'efforcent de dégager la page des éditions savantes de son encadrement glosé et de la doter d'un apparat discret et rationnel. Entendant fournir à la fois les indications concernant les variantes textuelles et les explications de certains termes ou expressions, il utilise d'abord une infinité de signes (lettres, chiffres et lemmes) pour leurs renvois, et en parsème la marge extérieure et le bas des pages.

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    Première édition de la monumentale Bible latine donnée par le savant imprimeur et humaniste Robert I Estienne (1503-1559), et sa première publication in-folio.

    Cependant, notre système d'annotations simple et brutal ne triomphera que dans la seconde moitié du XVIIesiècle. Enfin, les pièces de théâtre antiques, et notamment celles de Térence, sont désormais divisées en actes et en scènes.

    Au total, le livre de la fin du XVIesiècle commence donc à prendre un aspect moderne. Les pièces liminaires composées par des amis de l'auteur à sa gloire restent, certes, abondantes. Mais la préface moderne, offrande solennelle garnie de bandeaux et de lettres ornées à quelque grand personnage, commence à être inscrite en italiques en tête de l'ouvrage. Et l'orthographe et la ponctuation des livres en français commencent à obéir aux normes actuelles. Qu'on ne s'y trompe pas, pourtant, la plupart des œuvres écrites en langues nationales se présentent plus que jamais sous forme de discours se poursuivant à longues lignes durant des séries de pages. Tout au plus peut-on discerner dans des éditions particulièrement soignées de légers espaces blancs séparant à l'intérieur de la même ligne la fin d'une phrase et le début de la suivante. Comment, dans ces conditions, les lecteurs du XVIesiècle pouvaient-ils lire les textes de Rabelais ou de Montaigne qui se présentaient au long de séries de pages pratiquement sans paragraphes ? La présentation serrée de certains autres textes est encore plus surprenante, par exemple dans le cas de certaines éditions de l'Imitation de Jésus-Christ, et cela jusqu'aux années 1610-1620. Bien plus, l'ensemble des contes et des romans, de Boccace à Marguerite de Navarre, et d'Honoré d'Urfé à Madeleine de Scudéry, comportent, certes, des formes de coupure grâce à l'introduction dans le texte de lettres missives parfois précédées d'un titre, ou encore de conversations. Mais, à cause de sa forme continue, la mise en imprimé ne permet pas, à la lecture de longs dialogues entre plusieurs personnages, de savoir qui prononce une réplique. De même, la présentation des pièces de théâtre en langue vulgaire demeura longtemps si anarchique, notamment en Angleterre et en France, qu'on comprend mal comment de tels textes pouvaient être compris en une lecture muette et cursive.

    On s'étonne de voir ainsi mis en texte les œuvres d'auteurs célèbres, assurément avec l'accord de ceux-ci. Une telle présentation s'explique pourtant fort bien. Le texte imprimé fut longtemps conçu comme la représentation fidèle d'un discours oral, fictif ou non, en un monde où l'oral et l'écrit prétendaient encore tenir un langage identique. Ainsi, les genres littéraires les plus appréciés à l'époque classique la poésie, le théâtre et le sermon furent des genres relevant de la récitation à haute voix, donc de la rhétorique de l'oral. Peu à peu, cependant, l'écrit impose ses normes. Charles Estienne, le frère de Robert, propose le premier en France, pour le théâtre en langue nationale, des formes de présentation régulières et claires qui n'iront pas sans influer sur l'élaboration des règles de notre théâtre classique. Parallèlement, l'habitude s'impose de diviser en paragraphes les textes en langue française. Cette habitude apparaît d'abord peut-être dans les livres de spiritualité du début du XVIIesiècle par exemple dans l'édition de 1611 de l'Introduction à la vie dévote de saint François de Sales. Elle pénètre lentement dans les romans du temps. Et il est caractéristique de constater que le terme même d'alinéa semble avoir été emprunté au vocabulaire de l'imprimerie par Guez de Balzac en 1644. On ne doit donc pas s'étonner si le Discours de la méthode fut, du moins à notre connaissance, le premier ouvrage de philosophie en français mis en paragraphes. Ainsi s'imposèrent de nouvelles formes de présentation des livres et, sans doute aussi, une autre manière de « regarder » et de lire un texte en un temps où, précisément, la mode de la carte géographique se répandait en France.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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  • On sait que l'imprimerie apparut en Occident vers le milieu du XVesiècle. L'art typographique acheva alors d'être mis au point à Mayence par Gutenberg, aidé du riche praticien Johann Fust ainsi que de Peter Schoeffer, qui allait devenir le gendre du précédent dans une Allemagne en plein essor où l'industrie métallurgique faisait de grands progrès et où les textes devenaient l'objet d'une demande massive. Mais il dépassa son objectif pour engendrer finalement une nouvelle vision du message écrit.

    • Du manuscrit à l'incunable

    À l'origine, les imprimeurs n'eurent pas d'autre but que d'imiter le plus précisément possible les modèles manuscrits qu'ils devaient reproduire. Ils ne firent donc précéder les premiers textes qu'ils publièrent que d'un incipit à l'image de ceux-ci, et se contentèrent de substituer aux indications données dans l'explicit par certains copistes leur adresse, ainsi que, éventuellement, celle du libraire qui avait participé à l'édition ou à la diffusion de l'ouvrage, à laquelle ils joignaient la date de l'achevé d'impression de leur ouvrage et, parfois aussi, leur marque sorte de sigle propre à leur firme ou celle du libraire éditeur qui avait financé l'affaire. De même, ils n'hésitèrent pas à recourir systématiquement aux rubricateurs et aux enlumineurs pour peindre ou inscrire les lettres ornées et les divers signes de couleur qui indiquaient les articulations des textes manuscrits.

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    Guillaume Jouvenel des Ursins rendant visite à son enlumineur

    Peu à peu, cependant, imprimeurs et libraires éditeurs furent amenés à se dégager de ce modèle initial. Ainsi, ils prirent assez tôt l'habitude de ne rien inscrire sur le premier feuillet qui se trouvait souvent souillé lorsque les ouvrages étaient conservés en blanc dans les magasins avant d'être reliés. Puis ils commencèrent à inscrire au recto de ce feuillet blanc le titre de l'ouvrage auquel ils ne tardèrent pas à joindre leur marque, ainsi que leur adresse. Après quoi, ils remplirent les espaces restés blancs en insérant le titre proprement dit dans de longues formules volontiers hyperboliques vantant les mérites de l'auteur ainsi que les qualités de son œuvre (fin du XVesiècle - début du XVIesiècle). Plus qu'une « étiquette », la page de titre fut donc à l'origine une publicité la première publicité moderne.

    Imitant toujours les techniques des copistes, les imprimeurs ne donnèrent initialement aucune indication permettant aux relieurs de ranger les cahiers et les feuillets en bon ordre. Il fallait donc inscrire aux pages de chaque exemplaire, ou joindre sur un feuillet séparé, les mentions manuscrites nécessaires. Celles-ci furent ensuite imprimées dans le livre pour des raisons de commodité évidentes. Ainsi apparurent au bas des pages les signatures indiquant, à l'aide d'une lettre, l'emplacement de chaque cahier dans le volume et, à l'aide d'un chiffre suivant cette lettre, l'ordre des feuillets dans le cahier. Il en alla de même pour les réclames indiquant à la fin d'une page ou d'un cahier les premières lettres du début de la page suivante. Enfin, le registre indiquant les premiers mots des cahiers ou des feuillets fut normalement imprimé à la fin du dernier cahier du livre. Ces pratiques se généralisèrent à la fin du XVesiècle selon des modalités très diverses correspondant à des habitudes d'ateliers. En même temps, on commença à imprimer le numéro de chaque feuillet puis, plus tard, de chaque page, au-dessus de la composition. Soit une évolution qui fournit aux rédacteurs de tables un nouveau système de repères.

    Par ailleurs, tandis que les livres imprimés se multipliaient, la technique de la gravure sur bois, pratiquée dès les dernières années du XVesiècle, avait entraîné l'éclosion d'une floraison de livrets xylographiques où le texte et l'image étaient gravés simultanément, ce qui offrait une grande souplesse de mise en page, comme on le voit par exemple dans les fameuses Bibles des pauvres, qu'on peut dater des années 1460, mais dont les premières réalisations gravées sont sans doute antérieures. Cependant, on préféra finalement à cette solution les livres typographiques illustrés réalisés en insérant dans la forme typographique des gravures sur bois, susceptibles d'être imprimées du même coup de barreau de la presse. Cette technique, inaugurée à Bamberg par Pfister en 1460-1462, fut largement utilisée à l'issue d'une longue lutte, à partir des années 1470. Elle imposa une autre forme d'équilibre entre le texte et l'image – cette dernière se trouvant peu à peu réduite à jouer le rôle d'illustration du discours écrit. En même temps, on substitua aux initiales peintes des lettres ornées gravées sur bois et on tendit à se dispenser de plus en plus de l'aide coûteuse des rubricateurs. Du même coup, le système de repères de couleurs pratiqué dans les manuscrits universitaires disparut.

    • Les caractères typographiques

    La normalisation de la typographie se réalisa bien plus lentement. On sait que les copistes avaient coutume d'utiliser des écritures différentes selon la nature du texte et le degré, de solennité de l'ouvrage. Les livres d'Église et parfois les Bibles étaient calligraphiés en lettres de forme rigide et aux brisures nombreuses, les ouvrages universitaires étaient copiés en lettres de somme, rondes, de petit module et avec de très nombreuses abréviations soigneusement convenues, tandis que les livres en langues vulgaires utilisaient volontiers les écritures gothiques bâtardes mises au point pour les documents de chancellerie. Enfin, les textes des classiques latins, et plus généralement les manuscrits d'inspiration humaniste, faisaient appel à l'écriture humanistique, ancêtre du romain et de l'italique typographique écriture artificielle inspirée d'une caroline tardive, dont la mise au point avait été réalisée en Italie au début du XVesiècle. Par ailleurs les écritures variaient selon les pays et les régions. C'est ainsi que les scribes de l'université de Bologne avaient par exemple mis au point une écriture ronde de gros module, très différente de la lettre de somme Parisienne, tandis que les bâtardes des chancelleries d'Angleterre, de France, de Bourgogne ou d'Allemagne présentaient des différences notables.

    Là encore, les imprimeurs avaient voulu à l'origine suivre au plus près leurs modèles manuscrits, quitte à tailler régulièrement de nouvelles séries de caractères et à reproduire des lettres liées en les gravant sur le même poinçon. Cependant, de telles pratiques s avérèrent vite onéreuses et l'usage des lettres liées comme celui de trop nombreuses abréviations compliquaient la tâche des compositeurs. Dans ces conditions, une certaine uniformisation tendit à s'opérer tandis que les typographes s'adressaient, pour se fournir en matrices ou en caractères, à des officines typographiques qui pratiquaient souvent ce genre de commerce sur une large échelle.

    • Les mises en texte

    Tenant compte de la concurrence des copistes et désireux de ne point heurter les habitudes de lecture de leurs clients, les imprimeurs du XVesiècle copièrent d'abord dans toutes leurs variétés les mises en textes des livres manuscrits. S'avérant d'emblée metteurs en page émérites, ils se montrèrent capables de résoudre, lorsque cela était utile, les problèmes techniques les plus délicats. Ainsi, la Bible à quarante-deux lignes apparaît déjà comme un chef-d'œuvre typographique. De même, les premières éditions savantes reproduisent exactement la présentation des textes scolastiques, et on continua longtemps à donner, notamment à l'intention des juristes, des textes glosés d'une composition impeccable.

    Les typographes et les libraires durent aussi tenir compte, à mesure que le commerce du livre se développait et se spécialisait et que la concurrence se faisait plus dure, de nécessités souvent contradictoires puisqu'il leur fallut dès lors maintenir un équilibre entre la recherche du plus bas prix de revient et les impératifs de la lisibilité. Les enquêtes menées sous la direction d'Ezio Ornato nous permettent de pressentir l'évolution de la mise en texte des incunables, ouvrages imprimés antérieurs à 1500, en fonction de ces différents facteurs. Au total, les imprimeurs, qui semblent avoir pris soin, en une première période, de reproduire le manuscrit, s'efforcèrent ensuite, sous l'effet de crises d'origines diverses et de la concurrence, de placer le plus grand nombre possible de signes dans un cadre d'écriture de plus en plus large en réduisant les marges et en utilisant des caractères de corps plus faible, si bien qu'ils firent doubler dans les incunables la densité des signes à la page par rapport à celle de manuscrits du XVesiècle. Cependant, comme toute tentative de ce genre était de nature à entraver la lecture en proposant des lignes trop serrées, trop longues et trop rapprochées, ils tendirent à adopter des mises en page à deux colonnes. D'où une tendance à la compression particulièrement sensible pour les textes d'étude en caractères gothiques. Cependant, les œuvres en langues vulgaires, destinées à une lecture plus cursive, firent l'objet d'un traitement spécial ; on réduisit la proportion des marges, on imprima les textes en lettres de plus gros module, mais qu'on tendit à rendre plus étroites, sans entraver pour autant la lisibilité ; on inscrivit celles-ci sur des lignes plus écartées, avec un nombre plus réduit de coupures de mots en fin de ligne, ce qui permettait d'offrir un plus grand « confort de lecture » confort qui devait pourtant se trouver réduit au cours du XVIesiècle, à mesure que les ouvrages ainsi imprimés se démodèrent et que les libraires tâchèrent d'atteindre un public de plus en plus large.

    Au total, les mises en texte n'évoluèrent donc que très lentement. Certes, les imprimeurs, désireux de normaliser le travail de composition en simplifiant la casse cette boîte divisée en casiers qui contiennent les caractères d'imprimerie, tendirent à réduire le nombre des abréviations, tout en en maintenant un certain nombre, notamment dans les textes en langues vulgaires afin de laisser une certaine latitude aux typographes à la fin de la ligne et de leur permettre d'éviter de couper les mots lors de la justification. Cependant, la casse continua d'être composée de manière très différente selon le type de caractères employés. On ne note en outre à peu près aucune évolution dans l'orthographe des textes composés en caractères gothiques. De sorte que la novation semble se réfugier dans les ouvrages imprimés en caractères romains. Héritiers de la tradition humaniste, les typographes et les lettrés qui éditent ainsi des œuvres latines ou néo-latines de caractère littéraire portent une attention particulière non seulement à l'exactitude du texte, mais aussi à sa présentation, à son orthographe et à sa ponctuation. Il en va ainsi dans l'atelier de la Sorbonne, où Jean Heynlin se charge de diviser en chapitres et de compléter par un glossaire alphabétique les Elegantiae linguae latinae de Lorenzo Valla, dont un secrétaire du roi a accepté de revoir le texte et qui sont publiées sous cette forme dans les premiers mois de 1472. Après quoi, Guillaume Fichet, qui dirige l'atelier avec Heynlin, donne à celui-ci les indications suivantes concernant l'édition du De officiis de Cicéron : « Ces divisions du texte que nous appelons chapitres jettent une grande clarté sur le contenu et aident la mémoire au point d'en rendre la lecture facile, même pour les enfants. Aussi, je veux te prier d'améliorer, en les corrigeant et les divisant suivant ta méthode, l'édition des Offices que les imprimeurs vont bientôt mettre sous presse. » On notera, cependant, que le caractère romain, sacralisé avec les réalisations de Jenson à Venise vers 1470 et plus ou moins maladroitement réalisé ailleurs par des typographes accoutumés au style gothique, connut ensuite une forme de repli, sans doute parce qu'il exigeait, par sa morphologie même, une plus grande place que la lettre gothique. On s'appliqua donc à en réduire le module, et cette réduction contribue à expliquer son retour en force à partir des années 1486-1490. En même temps, l'esprit même de l'humanisme commençait à s'imposer, tandis qu'Alde Manuce se mettait au travail.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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  • Il est encore fréquent en Occident d'attribuer Gutenberg, l'invention de l'imprimerie, vers le milieu du XVesiècle. Cette opinion, fortement ancrée dans les esprits et les écrits, n'est guère partagée en Asie où les premiers textesreproduits par xylographie – impression de feuillets entiers à l'aide de planches gravées – l'ont été plus de six siècles auparavant et où les premières impressions typographiques sont antérieures de plus de quatre siècles. Les témoignages ne manquent pas sur les débuts de l'imprimerie extrême-orientale, mais les étapes initiales restent cependant assez obscures. Les premières xylographies reproduisant des textes sur papier à partir des planches de bois gravées semblent être apparues en Chine vers la fin du VIIesiècle. Cependant, le plus ancien xylographe daté que l'on ait découvert en Chine n'est pas antérieur à 868 : c'est le fameux sūtra du Diamant, trouvé au début du XXesiècle par Aurel Stein dans les grottes de Mogao près de Dunhuang, aux confins de l'Asie centrale, et qui est conservé à Londres. Accompagné d'un frontispice lui aussi xylographié, ce rouleau révèle, par ses qualités d'impression, une étape avancée de la technique xylographique.

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    sūtra du Diamant

    Dans la seconde moitié du IXesiècle, la xylographie s'était déjà répandue non seulement en Chine, mais avait gagné la Corée et le Japon qui étaient sous le coup d'une profonde influence culturelle chinoise. En Corée a été découvert, en 1966, un petit sūtra bouddhique en chinois, enfermé, peut-être depuis le milieu du VIIIesiècle, dans un stūpa, monument contenant souvent des reliques ou un manuscrit. Au Japon surtout, un million de courts textes bouddhiques en chinois furent imprimés sur l'ordre de l'impératrice Kōken entre 764 et 770, et enfermés dans autant de petits stūpa, dont plusieurs centaines subsistent.

    • Les préalables de la xylographie

    Comme toute invention, la xylographie chinoise n'apparaît que lorsque plusieurs conditions matérielles, techniques, mais aussi intellectuelles et sociales sont présentes. Bien que l'impression de textes ou d'images puisse se faire sur différents supports, le papier est le support privilégié de la xylographie. Lorsque la xylographie naît en Chine, et contrairement à ce qui s'est passé en Occident, le papier est connu depuis longtemps. En effet, les origines de sa fabrication peuvent être situées au 1ersiècle avant notre ère. Né d'une sorte de substitut au tissu, il sert d'abord à envelopper des objets avant de devenir un support de l'écrit, comme le sont alors la soie et le bois ou le bambou. C'est l'eunuque Cai Lun, souvent considéré comme l'inventeur du papier, qui, au début du IIesiècle de notre ère, fait de celui-ci un support apte à recevoir l'écriture, grâce à l'amélioration des techniques de fabrication du papier et, peut-être, par l'adoption d'une forme mobile, telle que la connaîtront plus tard les Occidentaux, qui remplace alors la forme fixe primitive.

    Dès le IIesiècle, l'usage du papier se développe et empiète sur les autres supports. Plusieurs anecdotes le confirment. Moins coûteux que la soie, plus léger et d'un usage plus facile que les tablettes de bois et de bambou, comme l'indiquent les sources, le papier s'impose peu à peu et devient le matériau privilégié des manuscrits, comme il deviendra celui du livre imprimé, en dehors de mille autres usages. L'encre constitue aussi bien sûr un élément matériel nécessaire à l'imprimerie, mais cette substance faite de suie de pin mêlée à de la colle de poisson, de corne de cerf ou de peau, servit aussi bien à l'écriture des manuscrits qu'à l'impression des xylographes. Les textes reproduits par xylographie non seulement requièrent papier et encre, mais font aussi appel à une technique de gravure inversée. La pratique de la gravure servait en effet à la reproduction d'images et d'écrits depuis l'Antiquité. En cela, la xylographie hérite d'abord des impressions de sceaux. Servant généralement à l'authentification ou à l'identification des documents, les inscriptions des sceaux étaient gravées à l'envers dans du métal, mais aussi dans le jade, l'ivoire, l'argile et le bois. Le plus souvent, les signes étaient inscrits dans un carré sur une seule face du sceau, limités à quelques caractères pouvant aller de deux à six, et parfois jusqu'à neuf. Les impressions furent faites d'abord sur de l'argile. Ainsi, lors de leur transmission, les tablettes de bois ou de bambou étaient liées et scellées à l'aide d'une petite pièce d'argile marquée d'une empreinte de sceau. Les inscriptions étaient alors gravées en creux. Deux étapes importantes dans l'histoire des sceaux devaient avoir une influence capitale sur la naissance de la xylographie. La première est le passage à la gravure en relief, la seconde l'abandon de l'argile pour l'impression et son remplacement par un support plan, papier ou soie, sur lequel était appliqué le sceau préalablement enduit d'encre noire ou rouge. Cette substitution différencie totalement l'évolution des sceaux en Extrême-Orient et dans le Bassin méditerranéen. En Asie, cette technique d'impression des sceaux à l'aide de cachets de bois servit également à l'impression d'images et de charmes, avant d'être employée pour la reproduction de textes plus longs. C'est ce que confirment plusieurs textes, dont l'Histoire de la dynastie Sui, rédigée dans la première moitié du VIIesiècle, qui mentionne l'impression de charmes gravés sur bois par des adeptes du taoïsme en vue de guérir des maladies. Toutefois, une étape supplémentaire devait être franchie pour aboutir à la xylographie telle que nous la connaissons, qui suppose le retournement de la planche : alors que le cachet était apposé sur le papier, dans l'impression xylographique, c'est le papier qui est appliqué sur la planche encrée et « pressé » à l'aide d'un frotton. L'influence de la gravure sur pierre et de l'estampage sur l'invention de la xylographie a certainement été moindre qu'on ne le prétend parfois. Si, en fait, la technique de reproduction des textes par estampage préexiste à la xylographie, les deux procédés restent assez éloignés. En effet, les textes gravés sur pierre le sont directement et en creux, et non en sens inverse et en relief. De plus, le texte s'imprime, si l'on peut dire, au revers du papier, puisque la feuille humide qui adhère à la stèle jusque dans les creux de la gravure est encrée sur son avers, de sorte que le texte apparaît en blanc sur fond noir.

    • Fixation ou multiplication des textes

    Suscitée par des innovations techniques, la naissance de la xylographie s'inscrit dans un processus social et intellectuel complexe et quelque peu contradictoire, qui se traduit à la fois par une reproduction intensive et en même temps par une volonté de conservation de l'écrit.

    L'encouragement constant donné à la multiplication des écrits et des images bouddhiques est à la source de l'imprimerie chinoise. Les fidèles étaient incités régulièrement non seulement à lire de manière répétée un grand nombre de fois les sūtra bouddhiques, mais aussi à reproduire par milliers les représentations des buddha. Ces représentations étaient peintes sur les murs à l'aide de pochoirs ou de poncifs, ou bien imprimées sur papier avec des cachets de bois. À la copie des textes se substitue peu à peu leur reproduction par xylographie. Ce sont d'abord des formules magiques et de courts textes dont la gravure tient sur une ou deux planches. La xylographie intéresse donc en premier lieu les milieux populaires. À côté de ces textes bouddhiques, les premiers xylographes reproduisent des calendriers, des lexiques, des clefs des songes et autres opuscules divinatoires, dont les autorités voient parfois la diffusion d'un œil réprobateur. À l'inverse de ce phénomène, l'impression des œuvres classiques se développe plus lentement. Les milieux lettrés, très attachés à la copie des classiques du confucianisme et de leurs commentaires n'ont pas tout de suite le même engouement pour la xylographie. Ce moyen de reproduction ne représente pas tant pour eux une manière de multiplier les écrits qu'un procédé pour fixer les textes dans leur authenticité, comme le sont les classiques gravés sur siècles de pierre. Les textes des classiques, vérifiés, corrigés, ont pu être ainsi établis de manière durable à un coût moindre que celui qu'aurait exigé la gravure sur stèles.

    Cette double appréciation de la technique xylographique devait conduire à un développement différencié de l'imprimerie en Chine. D'une part, les impressions populaires donnent lieu à un marché considérable de l'édition privée à partir des Xe et XIesiècles, où apparaîtront diverses tentatives d'améliorations techniques ; d'autre part, le but de fixation des textes se traduit par une stagnation relative de la xylographie dans les milieux officiels, obsédés par le contrôle du contenu de la production écrite.

    • Les formes du livre

    En Occident, le passage du volumen au codex, qui s'opère à partir du début de notre ère, n'a guère eu d'incidence sur l'invention ou la diffusion de l'imprimerie ; le codex était adopté depuis trop longtemps. En Chine, en revanche, le processus complexe d'évolution du rouleau sur le livre aux feuilles pliées favorise sans aucun doute le développement de la xylographie.

    Les premières traces de cette évolution peuvent être situées au VIIIesiècle. À cette époque, le rouleau de papier, qui avait lui-même succédé aux longues pièces de soie, se voit peu à peu concurrencé par de nouvelles formes du livre. De telles transformations résultent d'influences à la fois techniques et intellectuelles. Le livre chinois est influencé par l'Inde, à la suite des allées et venues des pèlerins rapportant des livres bouddhiques sanskrits en masse, écrits sur des pothi. Ces livres, faits de feuilles oblongues de latanier, écrites au recto et au verso, étaient simplement percés d'un ou de deux trous et reliés par un ou deux fils qui évitaient la dispersion des feuillets. Ils sont à l'origine des accordéons, obtenus par le pliage à intervalles réguliers des feuilles de rouleaux chinois. Dans le même temps, les lexiques et les recueils de rimes, tels que le Qieyun, se présentent sous la forme ambiguë de livres aux feuillets assemblés par collage sur un bord, écrits recto verso, et roulés dans une feuille de couverture : ce sont les livres « en tourbillon », qui tiennent à la fois du rouleau et du livre en feuillets. Sous l'influence conjuguée de ces deux nouvelles formes apparaît le livre « en papillon », assez semblable à nos livres modernes, et dont les feuillets, écrits recto verso, étaient découpés dans une feuille selon divers formats et procédures, puis pliés en deux et collés à la suite ou encartés en cahiers. La xylographie profite de ces nouvelles présentations pour s'imposer. L'une des raisons majeures de ces changements vient probablement du développement des concours officiels sous la dynastie des Tang (618-907). Les encyclopédies, recueils de citations classées par catégories qui servaient à la préparation des examens, comme le Yiwen leu ou le Chuxueji, étaient lues de manière discontinue, procédure que le rouleau ne permettait guère. Les facilités de repérage dans les livres en feuillets permettent cette consultation. Les livres en papillon entraînent l'accroissement des livres de petits formats facilement transportables, véritables « livres de poche » où fidèles et écoliers consignent les écrits les plus usuels.

    Toutes ces formes du livre aident à la propagation de la xylographie, sans pour autant éliminer totalement le rouleau. Elles donnent lieu à des usages spécifiques : accordéons pour les sutra bouddhiques, livres en papillon pour les écrits populaires par exemple. Néanmoins, cette dernière forme devait encore évoluer. En effet, la feuille xylographiée n'est imprimée que d'un côté et, pour éviter la présence de pages vierges succédant à des pages imprimées, les livres ont été plus tard brochés par les bords et non plus par les pliures : on obtient alors le livre « au dos enveloppé » qui reste en usage jusqu'au XXesiècle.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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  • Gutenberg_2

    Au milieu du XVesiècle, la mise au point de l'imprimerie à caractères mobiles par Johannes Gensfleisch, dit Gutenberg, a joué un rôle capital dans le développement tant économique et technique que culturel de l'Occident, en multipliant les possibilités de diffusion des connaissances.

    Dans le langage moderne, l'imprimerie désigne l'ensemble des activités qui concourent à la production des livres, des périodiques et des quotidiens, ainsi que des innombrables publications nécessaires à la vie administrative et économique de la société comme des emballages de toute nature imposés par les nouvelles méthodes de distribution. Pris dans un sens plus étroit, le mot désigne les méthodes et les équipements utilisés pour multiplier les textes et les illustrations.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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  • Toute écriture est concernée par la technologie qui la matérialise : stylet, stylo, plombs d'imprimerie, etc. Non seulement parce que ces différents outillages provoquent des conséquences concrètes dans les sociétés où l'écriture est utilisée (sans l'imprimerie il n'y aurait pas d'économie du livre), mais également, et peut-être davantage encore parce que la technologie employée influe directement sur les effets fondamentaux de l'écriture comme technique de conservation et de partage du sens. Si l'imprimerie a totalement bouleversé les économies d'échange et de transmission antérieures à son apparition, l'électronique provoque aussi des transformations fondamentales, aux conséquences tout aussi importantes.

    • Une écriture immatérielle

    Les changements introduits par le traitement informatique de l'écriture sont d'abord matériels. Ils découlent des particularités de constitution et d'exploitation du signal électronique. L'électronique ne sait traiter que des codes binaires, des séquences de 0 ou de 1 : le courant électrique passe ou ne passe pas. L'écriture électronique s'apparente à un alphabet morse pauvre ne disposant même pas de la distinction longue-brève. Tous les signes complexes, tels ceux des alphabets des langues naturelles, sont traduits sous forme de suites codées de zéros et de uns illisibles pour un lecteur humain sans programme spécialisé. Sur un écran d'ordinateur, une trace quelconque, une lettre n'est qu'une matrice de points pouvant prendre des valeurs colorées. Ces signes, ouverts à des opérations numériques, sont interchangeables. Passer de la lettre « d » à la lettre « a » ou à n'importe quel autre dessin, n'est que lui faire subir une opération mathématique. Un mot quelconque d'une langue, un dessin sont des séquences de chiffres. Leur nature profonde est virtuelle, en attente des divers traitements qui les rendront perceptibles. Dans les mémoires des ordinateurs, le dessin d'un iguane n'est pas un iguane ; l'écriture du mot iguane n'est pas la séquence graphique « i.g.u.a.n.e »... La matérialité visible du signe est trompeuse, car elle n'est que le produit d'opérations abstraites prédéfinies lui attribuant une existence temporaire pouvant toujours être soumise à de nouvelles opérations. On peut ainsi remplacer automatiquement, en temps réel, tous les « a » d'un texte par n'importe quelle autre lettre, faire placer des « s » à la fin des mots, ajouter des mots, en remplacer par d'autres, etc. On peut modifier un dessin, le faire agrandir, le faire réduire, le faire transformer, l'ajouter à d'autres, le faire bouger, apparaître, disparaître, etc. La séparation entre la lettre en tant que signe codé pré-constitué et le dessin s'estompe. Les tablettes graphiques ou la reconnaissance optique de caractères abolissent même la traditionnelle séparation technologique entre écriture manuscrite et mécanique qui permettent, à partir des traces émises par un capteur, de transformer les mouvements d'une main dans les codes typographiques choisis par l'utilisateur. Il y a dématérialisation du signe : le signe lu n'est qu'une des manifestations superficielles, à un moment donné, d'une infinité d'opérations sur un codage profond auquel le lecteur n'a pas normalement accès. Matérialisations virtuelles toutes inscrites dans les possibilités du codage. L'écriture informatique est ainsi, avant tout, un ensemble de conventions, de codes et de normes. L'écriture lue est toujours le résultat d'opérations définies par diverses couches d'écritures sous-jacentes : langage machine, langages système, langages d'interprétation, normes des logiciels, etc. Ainsi, par exemple, si n'importe quelle machine, pourvu qu'elle soit reliée à un réseau, peut communiquer avec n'importe quelle autre, c'est grâce à l'existence d'un standard commun, la norme HTML, qui définit un ensemble de conventions d'écriture dont la codification informatique est respectée par toutes ces machines.

    Cette dématérialisation profonde confère à l'écriture informatisée, et par là aux textes qui en sont le produit, des caractéristiques que jusque-là elle ne possédait sur aucun autre support. L'écriture informatique est mobile, interactive, délocalisée, démultipliable et engendrable.

    • Une écriture mobile

    Contrairement à ce qui se passe sur les supports conventionnels, le graphisme informatique, concrétisation momentanée de procédures de calculs sur des informations non matérialisées, n'est jamais définitivement fixé. Les signes binarisés se référant tous, quelle que soit leur apparence, à un système unique de codage, la transformation d'une convention de codage en une autre, permettant toutes sortes d'affichages variables, peut être réalisée sans grande difficulté. Il suffit de modifier les procédures de calcul pour que les codages changent avec une vitesse de traitement qui, paraissant instantanée à l'échelle de la lecture humaine, est dite « en temps réel ». Les traitements de texte permettent ainsi à leurs utilisateurs de choisir la police de caractère qu'ils désirent, la taille du corps des lettres, leurs caractéristiques : italique, gras, souligné, etc., ou même de changer chaque signe de l'alphabet en pictogrammes. Une fonction de base de ces logiciels est de pratiquer l'opération du « couper-coller », transport instantané de portions de textes d'un lieu quelconque de l'espace virtuel pour le constituer à un autre. Toutes ces fonctions d'affichage ne consistent en rien d'autre qu'en des calculs sur les pixels unités d'émulation des écrans ou sur les bits unités d'enregistrement des mémoires (binary digits).

    Une des conséquences de cette mobilité est que l'écriture informatique est sans traces. Contrairement à la feuille de papier où remords, variantes, corrections, surcharges laissent leur empreinte, aucune de ces opérations ne s'inscrit sur l'écran. Un terme effacé est un terme disparu, une faute d'orthographe corrigée n'a jamais existé. L'écriture informatique est amnésique, qui ne garde aucune mémoire des cheminements de la pensée. Sur le médium informatique, toute conservation de trace suppose la volonté délibérée d'en garder la mémoire. Lorsque cette volonté existe, elle revient à mémoriser tout acte, même le plus insignifiant : hésitation, erreur de clavier, etc. Un enregistrement de texte détruisant le texte précédent, cette conservation ne peut se faire que si l'auteur, au travers d'opérations non immédiates, en affirme l'intention comme le permettent désormais certains outils de traitement de texte. Mais cette conservation produit un nouveau texte et la comparaison de leurs états successifs n'est pas une opération prévue dans les logiciels d'écriture, dans la mesure où elle est jugée sans intérêt par le commerce. Toute séquence écrite est ainsi à la fois éminemment volatile et fragile, ou au contraire trop exhaustive.

    Une autre conséquence est que tout texte, à l'instant même de sa production, est ouvert à des opérations instantanées de calcul. Un correcteur orthographique opérationnel dans un traitement de texte n'est rien d'autre qu'un algorithme interprétant, alors même que le scripteur est en train d'écrire, le texte qui s'écrit. Les divers outils dictionnaires de synonymes, correcteurs syntaxiques, phonétiseurs, lectures sonores... qui ont été peu à peu installés à l'intérieur des traitements de texte les plus performants fonctionnent de cette manière.

    • Une écriture interactive

    Mobilité, instantanéité, virtualité, calculabilité autorisent de nouveaux modes d'interactivité.

    Si l'écriture a toujours été interactive parce que tout scripteur réagit à ce qu'il écrit pour le transformer, la rapidité des transformations informatiques en modifie les conséquences. L'interactivité informatique change toute opération, même la plus élémentaire, en terrain permanent d'expérimentation. Le scripteur peut faire tous les essais qu'il désire sans que les conséquences en soient rédhibitoires, sans que leur coût intellectuel et économique représente un obstacle. Couper un fragment pour l'insérer en un autre lieu du texte permet de simuler une écriture nouvelle qui, jugée satisfaisante, peut être rendue définitive, mais qui, jugée sans intérêt, peut être aussitôt annulée sans conséquences. Plus simplement encore, examiner si telle police de caractère est préférable à telle autre pour une recherche d'effet ne coûte rien de plus que l'utilisation d'une fonction alors qu'antérieurement, le coût de réécriture, celui d'impression, demandaient un effort jugé la plupart du temps impossible. Cette richesse d'interactivité transforme tout scripteur en typographe, en maquettiste : l'informatique est la nouvelle imprimerie. Le scripteur peut non seulement visualiser sur la page les fragments du texte qu'il produit mais, également, en obtenir immédiatement sur imprimante des tirages lui permettant d'en vérifier l'effet. La lecture sur papier, du fait de la fixité et de la « chaleur » du médium, est une lecture davantage tournée vers l'intérieur du texte, plus propice à la réflexion et à la critique ; la lecture sur écran, médium froid, à cause des possibilités permanentes d'interaction, est plus extérieure, davantage tournée vers la manipulation du texte. C'est une lecture de surface incitant à la participation.

    • Une écriture délocalisée

    Mais c'est aussi une écriture sans lieu matériel. Sur un même écran d'ordinateur peuvent figurer, simultanément, des textes d'origines très diverses : l'écran de l'Encyclopædia Universalis et celui de la lettre que le lecteur est en train d'écrire, une « page » de miniatures émise par la bibliothèque du Congrès à Washington et celle d'un roman numérisé provenant d'une bibliothèque française. Le lieu d'affichage est ce lieu unificateur temporaire à la fois des différents médias et des différentes sources que Joël de Rosnay appelle un « unimédia » : ce qui est vu ou lu n'est qu'une construction contextuelle de données dont le « lieu » et la forme n'ont pas vraiment besoin d'être connus par le lecteur.

    L'hypertexte est une autre des techniques nouvelles permises à l'écriture numérique. Elle repose sur une des particularités de la mémoire informatique. Sur une mémoire d'ordinateur, quel qu'il soit, un texte n'est pas un ensemble compact d'écrit, mais un ensemble de fragments dont, au moment de l'affichage sur l'écran, l'ordinateur assure l'intégrité. Dématérialisée, la notion si habituelle de « page » n'a aucun sens en informatique. Sur un écran d'ordinateur, une page est une convention locale, temporelle et non définitive. Tout texte lu est un ensemble indéfini de fragments de textes dont le découpage n'a rien à voir avec la sémantique de la lecture. Par exemple un texte A est composé des fragments a, b, c, d ou x... en fonction des seules contraintes d'enregistrement sur la mémoire de stockage. Le texte a peut se terminer au milieu d'un mot, le texte b commencer au milieu d'un mot. Pour reconstituer le texte A, il suffit que l'ordinateur sache que A = a + b + c + x, c'est-à-dire qu'il dispose des informations indiquant où sont enregistrés les fragments a, b, c, x, et quelles sont leurs longueurs respectives. Un texte mémorisé est, indissolublement, un ensemble de fragments purement textuels, un ensemble de codes et un tableau d'adresses.

    La localisation concrète de ces « adresses » n'a, en soi, aucune importance. Pourvu que les mémoires sur lesquels les fragments sont mémorisés communiquent, et quelle que soit la façon dont elles communiquent  réseau, satellite, infrarouge... tout fragment de n'importe quel texte dont on possède l'adresse peut être ramené « à l'intérieur » de n'importe quel autre texte. C'est là le principe fondateur des « autoroutes de l'information » ou du « World Wide Web » (WWW) qui changent en profondeur la nature de la communication écrite puisque, tout en conservant ses caractéristiques de fixation, celle-ci acquiert certaines des caractéristiques de l'oral : réactivité, interactivités multiples, temps réel... D'un écran d'ordinateur quelconque, n'importe qui a ainsi accès à la totalité mondiale des textes mémorisés et peut les intégrer dans sa propre écriture.

    La contrainte technique de fragmentation entraîne que tout texte est une virtualité de texte. S'il existe quelque part un texte A tel que A = a + b + c + x et un texte B tel que B = d + e + f + g, rien n'interdit de constituer un texte C tel que C = a + d + b... Tout document n'est que la résultante de parcours dans des ensembles de fragments. À partir de logiciels adéquats appelés également « hypertextes », il est donc possible à un auteur de déclarer qu'un fragment donné ouvre sur plusieurs lectures par exemple : d + e ou d + b ; il est aussi possible de donner à l'ordinateur la mission de calculer ces parcours : par exemple, « rassembler tous les textes contenant l'expression traitement des névroses » ou, mieux encore, « classer par ordre de pertinence tous les documents parlant d'œnologie ». Cette fonction est naturellement utilisée par tous les logiciels appelés « systèmes de gestion de bases de données » (SGBD) mais bien entendu aussi, de façon plus ou moins puissante en fonction des algorithmes de calcul, par les traitements de texte ou les logiciels hypertextes. Elle est à l'œuvre, par exemple, dans le CD-ROM de l'Encyclopædia Universalis où les recherches peuvent être faites suivant des thématiques dynamiques, dans les index, dans les documents, dans l'ensemble de l'encyclopédie... ou même dans des ensembles de documents constitués en dossiers pour un usage donné par le lecteur lui-même : le « panier ». De telles recherches peuvent souvent accepter des opérateurs booléens sur les mots indexés : « alphabet OU morse », « littérature ET danoise », « littérature SAUF france » ou même « latin OU romain ET rome SAUF césar »...

    Les outils qui, sur Internet, sont appelés des « moteurs de recherche » fonctionnent ainsi et peuvent réunir à la demande d'un lecteur tous les documents numériques qui, n'importe où dans le monde, traitent de tel ou tel sujet. Il suffit pour cela que les mémoires sur lesquelles sont stockés les documents A, B, C ou X soient physiquement reliées par un réseau. L'ensemble constitue alors quelque chose comme une immense mémoire d'écrits collective. On comprend que cette technique ouvre d'immenses perspectives à la recherche d'informations. Elle est d'ailleurs la technique de base de la plupart des CD-ROM qui permettent des explorations non linéaires d'ensembles informatifs.

    De plus, il n'y a pas de différence théorique entre « hypertexte » et « hypermédia » puisque, dans l'univers digital, il n'y a pas de différence théorique entre texte, son et image. Un « hypermédia » n'est qu'un ensemble de documents comportant des images et du son, entre lesquels est possible une circulation de type hypertexte. C'est le cas d'Internet et de la grande majorité des CD-ROM actuels.

    Signal électronique parmi d'autres, toute écriture informatisée est transportable, immédiatement lisible, dans les lieux les plus éloignés les uns des autres. Comme telle elle peut être produite dans un lieu, lue simultanément dans un ou plusieurs autres à l'aide des instruments adéquats : modems, satellites, fax, etc. Elle peut également, de façon symétrique, être modifiée à distance. Dématérialisée, réduite à un signal électrique, elle est reproductible sans limites ni usure. Instantanément reçu par ses destinataires, y compris dans ses hésitations, l'écrit devient matière première pour ceux-ci qui, à leur tour, produisent de l'écriture. Le réseau est la conséquence logique de cette dématérialisation des textes informatiques. L'écriture devient collective, objet d'un partage à la fois planétaire et intime.

    • Une communication de tous à tous

    Une des conséquences en est que l'écrit informatique diffusé sur réseau permet, pour la première fois dans l'histoire de l'écrit, une communication « tous-tous » instantanée. Cette possibilité a donné jour sur le réseau Internet à différents logiciels mis, pour la plupart gratuitement, à la disposition des usagers.

    Ainsi de ceux appelés « blogs », ou encore des espaces d'écriture partagés. Les blogs sont des outils quiindex permettent à ceux qui le désirent de disposer d'un espace d'expression personnel sur le réseau, et d'y faire figurer aussi bien des textes que des photos, des vidéos ou des liens d'accès. Chaque créateur de blog apparaît ainsi dans l'espace Internet comme un producteur d'information lié à d'autres ensembles de producteurs d'information, chacun pouvant réagir à l'information produite en déposant dans le blog qu'il parcourt ses propres commentaires et adresses de liens. Cette approche de la communication s'est, en quelques années, développée de façon extraordinaire puisque l'on compte désormais sur le Web des millions de blogs multipliant de façon importante les producteurs de texte et d'information. Diverses fonctions annexes statistiques, classement, définitions thématiques, etc. contribuent à leur aspect interactif et partagé.

    Cette communication de tous à tous va plus loin encore dans les espaces d'information partagée en temps réel. Ceux-ci permettent, à tout un chacun, de créer de l'information écrite, photographique, vidéographique sonore définie par des mots clés qui l'installent immédiatement dans les autres réseaux d'information préalablement constitués. L'écriture y devient un jeu constant de rencontres et d'échanges naviguant de réseaux en réseaux. L'écriture de X... devient l'écriture de l'ensemble des personnes accédant à ces espaces. À titre d'exemple Wikipédia, encyclopédie contributive, offrait en 2005 plus de 370 000 articles en français et plus de 5 millions dans diverses langues, Youtube propose plus de 6 millions de vidéos, Flickr 250 millions de photos.

    L'écriture ainsi devenue collective pose des questions fondamentales à ses usages socio-économiques.

    • Une écriture automatisée

    Parce qu'elle permet d'agir sur les signifiants à partir d'un ensemble de lois externes, l'unicité du codage autorise également la générativité qui n'est qu'un mode de calcul particulier parmi l'ensemble des modes de calcul imaginables. Si le codage informatique ne permettait pas la transformation matérielle des signes, il ne serait pas possible d'utiliser ces instruments ordinaires que sont devenus les correcteurs orthographiques ou syntaxiques pour rectifier automatiquement les erreurs d'écriture. Pas plus que d'introduire les modifications morphologiques nécessaires pour passer de termes extraits d'un dictionnaire à une phrase. Il ne serait pas possible de passer, automatiquement, de : « enfant », « jeune », « regarder », « fleur », « prunier » à : « Un jeune enfant regarde des fleurs de prunier ». L'adjonction automatique d'un « s » à la séquence « fleur » montre que celle-ci n'est pas considérée comme un tout immuable, mais qu'elle est au contraire prise comme signe susceptible de transformations. Elle montre aussi que, dans l'algorithme utilisé, une information codée sous une forme quelconque indique qu'il est possible, sous certaines conditions, d'ajouter « s » à d'autres séquences de lettres, cette condition pouvant être nommée « pluriel » et ses conditions d'application étant définies. L'ordinateur ne génère des textes que parce que informatiquement ceux-ci ne sont rien d'autre que des séquences insignifiantes non figées et parce qu'existent des algorithmes spécialisés pour l'écriture.

    L'écrit, sous tous ses aspects, des plus élémentaires, comme l'inscription d'une lettre ou la mise en page d'un texte, aux plus complexes, comme sa conception, est ouvert à la programmation. L'écriture devient le produit d'opérations abstraites profondes sans rapport immédiat avec les résultats obtenus. Un des avenirs prévisibles de l'écrit se situe très probablement dans le développement d'outils sophistiqués interagissant avec la volonté d'écriture d'un scripteur quelconque.

    • Écriture informatique et littérature

    Si l'informatique bouleverse la pratique quotidienne et commune de l'écriture, son action est plus profonde encore en ce qui concerne l'écriture littéraire. Certains écrivains n'ont pas tardé à se rendre compte des possibilités nouvelles que cet outil permettait, des effets qu'ils pouvaient en obtenir dans leur domaine. Beaucoup d'entre eux se sont bien entendu servis des particularités de l'hypertexte pour concevoir des récits non linéaires. Sont ainsi apparus des textes interactifs, dans lesquels un lecteur agit sur ses parcours de lecture en induisant, par ses réponses aux propositions de l'ordinateur, des variations textuelles diverses ou en modifiant le déroulement des textes qu'il lit, parfois même leur contenu. Dans un texte interactif, il est tout à fait concevable qu'un lecteur ne rencontre jamais deux fois les mêmes séquences de textes. Ceux-ci deviennent les produits d'une lecture réellement active induite par les comportements du lecteur. Un texte interactif ne prend sens qu'au travers de la lecture. Plus que n'importe où ailleurs, la signification passe ici par l'élaboration du sens au travers de réseaux d'indices. Le texte est nécessairement « à faire », porteur de potentialités latentes que la participation du lecteur accepte ou non de révéler.

    La délocalisation du signal, elle, ouvre sur les « réseaux d'écriture » écriture collective d'écrivains sur les mêmes textes qui n'appartiennent plus à un seul d'entre eux, mais à l'ensemble. Plusieurs écrivains ont aussi réalisé des œuvres exploitant la mobilité comme composante majeure de la lecture, avec toutes ses conséquences : irruption de la temporalité comme modalité de transformation du texte, partie intégrante de la constitution d'un sens. Le lecteur est confronté à une écriture en modification perpétuelle qui, sans être dénaturée, ne peut être imprimée au sens classique du terme. La mobilité du signal permet la typographie dynamique

    Enfin, le texte que le lecteur parcourt sur un écran de lecture peut n'exister nulle part dans l'espace de mémorisation de l'ordinateur. Des programmes spécialisés peuvent, en fonction de besoins spécifiques, ou à des fins particulières, créer en temps réel le texte qu'il est en train de lire. Cette particularité est utilisée pour générer de la littérature.

    Interactivité, mobilité, générativité ont pour effet d'introduire quelque chose de l'ordre du dialogue, de la théâtralisation, dans un texte qui devient spectacle d'une écriture en cours. Le lecteur est autant spectateur de la « fabrique » du texte que du texte achevé. Sa lecture en est différente, il lit la mise en espace et les processus de réalisation plus peut-être que le texte lui-même qui, conçu pour exister dans une dynamique constante, ne parvient pas à se constituer en texte classique figé. Cela a pour effet second, de mettre le texte informatique naturellement dans le champ de la « performance » : l'écriture sort de l'espace où elle était cantonnée pour occuper d'autres lieux et notamment ceux d'exposition. Pouvant envahir simultanément tous les écrans d'affichage à diodes de villes, être projetée, par des faisceaux laser, sur un ciel nocturne, l'écriture devient partie de l'environnement. Son statut change : d'écriture à lire, elle devient écriture à voir, à vivre. La communion solitaire du lecteur et du livre tend à s'effacer devant une forme collective de participation. L'écriture électronique est ainsi allée à la rencontre des autres formes d'expression pour constituer un autre territoire, celui de l'écriture interactive multimédia dont l'espace de déploiement privilégié est Internet.

    • Permanence de l'écrit

    La simple sauvegarde magnétique ou optique du contenu, par exemple la pratique du couper-coller, ont une incidence directe sur le statut de la citation, des sources, des références et de leur utilisation. Les notions d'originalité, d'auteur, de propriété littéraire en sont affectées. Dans Xanadu, immense réseau planétaire d'échange permanent d'information, imaginé par Ted Nelson, aujourd'hui de l'ordre du réel, l'écriture individuelle se dissout dans une réappropriation perpétuelle. Consommer et produire sont de même nature : il ne s'agit plus seulement d'intertextualité mais de cotextualité, l'écrit est le produit collectivement anonyme d'une communauté universelle. Or l'informatique ne se contente pas de réutiliser des matériaux déjà fabriqués, elle permet également la génération qui déplace la question de l'auteur. L'ordinateur intervient dans le processus, tenant un rôle de producteur. Les problèmes de l'écriture, entendue comme production économique et/ou artistique d'écrits, avec toutes leurs incidences économiques et juridiques, se posent en des termes nouveaux dès lors que se répandent des instruments de plus en plus puissants servant à son traitement. Que devient par exemple le « droit moral » d'un auteur sur des textes qu'il n'a pas totalement écrits, dès lors qu'il utilisait massivement, sans les citer, de façon créatrice et originale cependant, des fragments d'autres textes ? Où commence la « propriété littéraire » ? Qui est concepteur d'un texte lorsque le programme le générant est le fruit d'une collaboration entre un écrivain qui en a eu l'idée et un informaticien qui l'a mis en programme ? Quelle est la place de la création, de l'inspiration, du style ? Qu'est-ce qu'une « œuvre » ? Quel est le statut d'un écrit lorsqu'il n'est qu'une réalisation particulière parmi des milliers de réalisations potentielles ? Que deviennent les textes « princeps », les éditions critiques ? Comment devra évoluer le droit d'auteur ? Que deviendra l'immense secteur économique d'industrialisation des écrits ?

    Autant de questions aujourd'hui ouvertes par l'évolution des technologies et montrant combien l'écriture, apparemment simple codage symbolique du langage, reste partie intégrante de l'ensemble des enjeux d'une société moderne.

    Contrairement à ce qui a pu être affirmé par des théoriciens de la communication, comme Mac Luhan voyant dans l'écran de télévision l'annonce de la disparition de l'écrit, l'écran informatique a au contraire multiplié à la fois les lieux et les puissances d'expression de l'écrit. Amené à changer de nature par la technologie qui le sous-tend, l'écrit a acquis une nouvelle modernité qui le situe à nouveau au centre de la communication.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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