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    Quand il s'agit d'exprimer l'idée d'édition, les langues hésitent entre deux racines qui sont représentées en français respectivement par le verbe « publier » et le verbe « éditer ». L'un vient du latin publicare, qui signifie « mettre à la disposition d'un public anonyme », l'autre du latin edere, qui signifie « mettre au monde ». Le français parle d'éditeur, et l'anglais de publisher, réservant editor au rédacteur en chef des journaux. L'allemand emploie Ausgabe pour l'édition d'un livre, mais Verlag pour l'entreprise d'édition que le russe désigne par izdatelstva, du verbe izdat, calque d'edere.

    Ces hésitations traduisent la nature ambiguë de l'acte d'édition : l'éditeur est-il accoucheur ou marchand d'esclaves ? L'un et l'autre vraisemblablement. Est-il paré de la dignité professionnelle ou marqué de l'infamie mercantile ? Il est difficile pour la plupart des éditeurs d'assumer l'une et l'autre et cela pour deux raisons : d'abord parce que leur fonction est apparue récemment dans l'histoire, ensuite parce qu'elle ne cesse de se modifier.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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  • Le papier imprimé, en feuilles ou en bobines, est porté dans les ateliers de façonnage, où il reçoit l'aspect final sous lequel il est livré au public, aspect qui est souvent celui de livres et de périodiques. Une exception est celle des quotidiens, qui arrivent des presses tout prêts à la vente.

    Les opérations qui conduisent à la production de livres et de périodiques portent le nom de brochage ou de reliure, selon que les ouvrages auxquels elles donnent naissance sont revêtus de couvertures souples ou de couvertures rigides. Elles ont été manuelles jusqu'à la fin du XIXesiècle, époque à laquelle sont apparues les premières machines, qui exécutaient chacune une opération séparée et qui se sont lentement répandues dans les ateliers pendant la première moitié du XXesiècle. Depuis la Seconde Guerre mondiale, on associe souvent plusieurs machines dans des ensembles mécaniques des chaînes capables d'assurer automatiquement sinon toutes les opérations du façonnage, du moins une bonne partie d'entre elles.

    • Pliure

    La première opération du façonnage est la pliure. Elle a pour but de transformer le papier imprimé en cahiers. Elle est exécutée par des plieuses, dispositifs mécaniques qui sont indépendants des presses lorsque le tirage est fait sur des machines à feuilles, mais qui font partie intégrante des presses lorsque le tirage est accompli par des rotatives à bobines (dont c'est un des avantages de produire des cahiers prêts au brochage et à la reliure, mais qui ont l'inconvénient d'un format fixe ou faiblement variable, alors que les machines à feuilles autorisent toutes les dimensions). Les cahiers comprennent le plus souvent seize ou trente-deux pages, parfois douze ou vingt-quatre, rarement moins, rarement plus.

    • Brochage

    Les opérations de brochage intéressent les cahiers pliés. Elles donnent naissance soit à des brochures et à des livres brochés lorsque les cahiers, réunis dans le nombre et dans l'ordre voulus, sont revêtus d'une couverture souple (parfois supprimée par économie, la première page du premier cahier portant dans ce cas le titre), soit à des blocs (encore appelés corps d'ouvrages) lorsque les cahiers sont appelés à former des livres reliés par apposition ultérieure d'une couverture rigide. Les cahiers sont associés dans le nombre et dans l'ordre voulus par encartage ou par assemblage.

    L'encartage consiste à insérer les cahiers les uns dans les autres. Il donne naissance à des brochures ayant un nombre de pages limité (dépassant rarement cent soixante), dont les cahiers sont solidarisés entre eux et à la couverture par des piqûres métalliques à cheval. Il est exécuté par des encarteuses-piqueuses intégrées, qui assurent non seulement l'insertion des cahiers les uns dans les autres, mais encore l'application de la couverture (quand elle existe), la piqûre métallique et aussi le rognage, c'est-à-dire la découpe des bords, ainsi que, dans certains cas, le comptage et l'emballage par paquets, le tout à une vitesse comprise entre cinq mille et dix mille exemplaires à l'heure.

    L'assemblage consiste à superposer les cahiers les uns aux autres. Il autorise un nombre élevé de pages, solidarisées entre elles et à la couverture soit par une couture au fil textile suivie d'un collage, soit par un collage seul. Il est exécuté par des machines de grande dimension, les assembleuses, qui peuvent travailler seules, mais sont le plus souvent intégrées à des chaînes de brochage, qui assurent, à l'allure de cinq à dix mille exemplaires à l'heure, non seulement la superposition des cahiers, mais encore l'application de la couverture, le collage et le rognage, ainsi que, dans certains cas, la peinture des tranches, suivie de l'emballage par paquets comptés.

    • Reliure

    Les opérations de reliure intéressent, d'une part, les blocs (cousus et collés ou simplement collés) venant duimages brochage, d'autre part les couvertures rigides (préparées dans des conditions définies). Elles s'achèvent par l'emboîtage des blocs dans les couvertures. Elles sont généralement exécutées, à l'exception de celles qui concernent les couvertures, par des chaînes de reliure groupant une dizaine de machines reliées par des transporteurs à courroie et produisant entre quinze cents et trois mille exemplaires à l'heure.

    Les opérations qui intéressent les blocs brochés sont multiples. Elles comprennent, entre autres, la pose des gardes, le rognage trois faces, l'arrondissure (pour les ouvrages à dos rond), la pose d'une mousseline, de tranchefiles (en tête et en pied) et éventuellement de signets.

    Les opérations qui intéressent les couvertures sont le découpage des cartons et des matériaux de recouvrement (papier imprimé pelliculé ou toile et cuir synthétique), puis leur association par collage à l'aide de machines couverturières. Elles comprennent aussi l'impression ou la dorure de la toile et du cuir synthétique.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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  • L'acte fondamental de l'imprimerie est l'impression. L'impression est le rapprochement, assuré par pression, de deux systèmes physiques, l'un solide c'est généralement du papier et l'autre fluide c'est toujours de l'encre, en vue de transférer le second sur le premier, le déplacement étant limité aux endroits correspondant aux textes et aux illustrations à reproduire. Ce transfert sélectif est exécuté au moyen de formes imprimantes, structures conçues pour accepter préférentiellement l'encre dans certaines de leurs parties et la refuser partout ailleurs. La manière de créer la distinction nécessaire caractérise chacun des trois procédés usuels : la typographie accepte préférentiellement l'encre sur des éléments en relief ; l'offset accepte préférentiellement l'encre dans des endroits ne présentant aucune différence de niveau, mais ayant reçu un traitement superficiel adéquat ; l'héliogravure accepte préférentiellement l'encre dans des éléments en creux.

    Mise au point en Occident par Gutenberg vers 1450, la typographie a joui d'un quasi-monopole pendant cinq siècles, au cours desquels elle s'est trouvée confondue avec la notion d'imprimerie. Les deux autres procédés, l'offset et l'héliogravure, sont nés vers 1900. Ils représentent la postérité moderne de deux techniques anciennes, la lithographie et la gravure sur cuivre, qui n'ont jamais reproduit que des illustrations.

    Avant l'essor de l'offset et de l'héliogravure, c'est-à-dire pendant les cinq siècles au cours desquels la typographie a constitué le procédé dominant, la préparation n'a pas eu pour but l'élaboration de films transparents, mais la confection de lignes de caractères en plomb généralement d'égale longueur et d'images gravées en relief dans du bois, du cuivre ou du zinc, qui étaient associées dans de robustes châssis quadrangulaires pour créer les formes imprimantes. Son visage moderne est récent. Il n'est apparu qu'après 1950, quand l'expansion des deux nouveaux procédés a imposé l'usage des films transparents (que la typographie a fini par adopter).

    Les activités de préparation se répartissent entre la mise en forme des textes, la mise en forme des illustrations et la mise en place des textes et des illustrations. La mise en forme des textes est la confection de lignes de caractères ayant le style, la grosseur et les autres caractéristiques désirées par les services de création, c'est-à-dire les services éditoriaux et rédactionnels. La mise en forme des illustrations est l'exécution des cadrages, des agrandissements, des réductions et autres modifications demandées par les mêmes services, ainsi que des traitements imposés par les exigences techniques de la reproduction. La mise en place, elle, est la localisation des textes et des illustrations aux endroits appropriés des pages (ou des doubles pages ou de toutes autres surfaces). Elle édifie une architecture ayant pour base : soit les textes, lorsque les travaux à produire (comme la plupart des livres et des périodiques, les quotidiens, beaucoup de brochures administratives et autres) sont faits de lignes qui se suivent dans un ordre rigoureux et entre lesquelles sont placées, quand elles existent, des illustrations plus ou moins nombreuses ; soit les illustrations, lorsque les travaux à produire (comme les albums d'enfants et les catalogues, beaucoup de beaux livres, les pages publicitaires, les étiquettes) sont faits d'images entre lesquelles ou superposés auxquelles sont répartis des textes relativement peu importants.

    Les opérations de mise en forme et de mise en place se situent en amont du bon à tirer. Elles sont accomplies par des procédures qui ont été manuelles, puis photomécaniques avant d'être informatisées.

    • Procédures manuelles

    Les procédures manuelles ont régné sans partage pendant quatre cents ans. Elles ont créé une terminologie et élaboré des règles qui sont encore en usage, bien que la plupart des éléments exploités pendant la longue période de temps durant laquelle elles ont été les seules existantes aient disparu. Elles exécutaient séparément la mise en forme des textes et la mise en forme des illustrations.

    • Mise en forme des textes

    La mise en forme des textes portait le nom de composition. Elle associait en lignes d'égale longueur de petits parallélépipèdes métalliques portant sur une de leurs faces le dessin en relief d'un signe alphabétique, autrement dit des caractères. Ces caractères métalliques ont été inventés par Gutenberg, de même que l'alliage de plomb, d'antimoine et d'étain dans lequel ils étaient coulés selon une technique et au moyen de matériels poinçons, matrices, moules empruntés aux monnayeurs du temps. Perfectionnés par des générations de fondeurs, ils ont la caractéristique commune d'inscrire les signes de l'alphabet dans un rectangle dont le grand côté parallèle à l'axe vertical des lettres est le corps, et le petit côté la chasse. Le corps a la même valeur pour tous les signes d'un même alphabet. Il est exprimé en points (les alphabets les plus employés ont un corps de 10 à 12 points). Il détermine la dimension des lettres en première approximation mais non en valeur absolue, car à l'intérieur d'un même rectangle le dessin des signes occupe une place variable selon son style. L'impression visuelle ressentie par le lecteur est en outre influencée par le rapport existant entre la longueur des jambages ascendants et descendants des lettres b, d, h, k, l, g, p et la hauteur des lettres a, c, e, i, m, u sans ascendants ni descendants. Les signes dont les jambages sont relativement courts paraissent plus grands que ceux dont les jambages sont relativement longs. Ils sont aussi moins élégants. On dit qu'ils ont un gros œil et que les autres ont un petit œil. La chasse caractérise la largeur des signes. Elle n'est pas identique pour toutes les lettres (un m chasse plus qu'un i) ni pour tous les styles (les alphabets condensés occupent moins de place que les alphabets larges). C'est pourquoi le langage des compositeurs distingue les lettres étroites ou allongées, les lettres normales, les lettres larges. Il connaît aussi, selon l'épaisseur des jambages, les lettres maigres, normales, demi-grasses, grasses et extra-grasses. Enfin, il appelle les majuscules capitales et les minuscules bas-de-casse, certaines polices (la police est un lot de caractères dans lequel les signes de l'alphabet sont présents en quantité correspondant à leur fréquence d'utilisation) possédant en plus un jeu de petites capitales.

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    Ligne de caractères en plomb

    La composition manuelle a été pratiquée par des générations de professionnels. L'ouvrier compositeur, travaillant debout, prélevait d'une main les lettres ainsi que les signes de ponctuation et les espaces (petites barrettes de plomb plus basses que les caractères, employées pour ménager des blancs entre les mots) dans le compartiment ad hoc d'une casse (un meuble de rangement spécialement conçu), puis les disposait à leur place, les unes après les autres, sur une sorte de cornière, le composteur, qu'il tenait dans l'autre main. Ce composteur était fermé à une extrémité par une butée fixe, tandis qu'à l'autre une butée mobile permettait de déterminer la longueur de ligne prévue. Quand les lettres, les signes et les espaces étaient suffisamment nombreux pour remplir à peu près complètement l'intervalle compris entre les deux butées, l'ouvrier justifiait la ligne, c'est-à-dire introduisait entre les mots des espaces fines (le terme pris dans ce sens est féminin), de manière à remplir toute la longueur disponible, puis passait à la composition de la ligne suivante, qu'il superposait à la première après avoir inséré éventuellement entre les deux une interligne (sorte de longue plaquette mince de même hauteur que les espaces). Quand il avait assemblé sur son composteur de trois à six lignes justifiées, il les déposait sur un plateau appelé galée en les rangeant les unes au-dessous des autres, puis recommençait l'opération. Enfin, lorsqu'il avait rempli sa galée avec une vingtaine ou une trentaine de lignes, il les ligaturait par plusieurs tours de ficelle et transférait le paquet ainsi formé sur une surface plane appelée marbre, puis retournait à son composteur. Aucun travail de composition n'a été exécuté autrement jusqu'aux environs de l'année 1900.

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    Presse de Gutenberg

    Les alphabets ont été créés au cours des âges en de multiples modèles par des artistes imprégnés des goûts et des idées de leur temps. Leur apparence en d'autres termes leur style varie selon qu'ils ont été dessinés à la Renaissance, à l'époque classique, au siècle des Lumières ou lors de la révolution industrielle. Les différences se situent dans les empattements, qui sont triangulaires, linéaires, rectangulaires ou inexistants, dans l'axe des lettres, qui est oblique ou vertical, dans le contraste entre les pleins et les déliés, qui est accusé, faible ou nul, et dans l'espacement de deux lettres voisines qui est étroit ou large, sans oublier l'œil, qui est petit ou gros. Le classement généralement accepté en France range les lettres en humanes, garaldes, réales, didones, mécanes et linéales, auxquelles on joint souvent des incises, des scriptes et des manuaires.

    • Mise en forme des illustrations

    La mise en forme des illustrations a consisté pendant trois siècles et demi à graver des images dans des planches en bois ou en cuivre. Peu après 1800 s'est ajouté un procédé la lithographie qui dessinait lesdites images sur des pierres. La gravure de planches en bois a toujours été la méthode la plus employée, parce qu'elle donnait naissance à des éléments imprimants ayant la même hauteur que les caractères en plomb la hauteur typographique et pouvant dès lors être montés sur les presses en même temps qu'eux. La gravure sur cuivre et la lithographie fournissaient, elles, des feuilles imprimées qui étaient obligatoirement insérées en hors-texte dans les ouvrages ou rassemblées à la fin des ouvrages, à moins qu'elles ne fussent imprimées une seconde fois, celle-là dans une presse typographique, pour y recevoir les textes.

    La gravure sur bois est aussi ancienne, sinon plus ancienne que la composition. Elle était pratiquée avant l'invention de l'imprimerie par les xylographes. Le matériau ligneux était débité en planches dont les fibres étaient parallèles à la surface. Il était éliminé au couteau entre les traits des images, qui apparaissaient en relief. Les modelés étaient rendus par des hachures presque toujours parallèles, rarement croisées plus ou moins fines et plus ou moins serrées. À cette technique, dite sur bois de fil, a succédé au début du xixe siècle la technique sur bois de bout, qui utilisait des planches dont les fibres étaient perpendiculaires à la surface. N'étant plus esclave comme dans le cas précédent de la structure ligneuse, le graveur, travaillant au burin tige en acier trempé, terminée par une tête en losange, pouvait conduire son outil dans toutes les directions et rendre les modelés par des hachures relativement fines orientées comme il l'entendait.

    La gravure sur cuivre, contemporaine de la gravure sur bois, a utilisé plusieurs méthodes pour faire apparaître des images en creux dans le métal. La technique la plus répandue a été la taille-douce : le cuivre était incisé au burin en creusant des sillons en V parallèles ou croisés. Une autre technique, elle aussi très employée, a été l'eau-forte : la feuille de cuivre était recouverte d'un vernis protecteur, que le graveur, maniant une pointe, enlevait aux endroits voulus pour faire apparaître le métal sous-jacent ; ledit métal était ensuite attaqué à l'acide nitrique en plusieurs étapes, les traits fins et peu profonds étant chaque fois protégés par une application locale de vernis. D'autres méthodes la manière noire, le pointillé, l'aquatinte ont été inventées aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles pour créer les creux, mais ont davantage servi à produire des estampes vendues isolément qu'à illustrer des livres.

    La lithographie, apparue au début du XIXesiècle, repose sur l'observation, faite par Senefelder à Munich dans les années 1780, qu'une pierre calcaire ayant reçu un dessin exécuté à l'encre grasse était aisément mouillée par l'eau dans ses zones vierges, mais non dans ses zones encrées, et que, en outre, une encre grasse prenait très bien dans les dites zones encrées, mais était repoussée dans les zones vierges par la présence d'eau. Ce comportement est la clé de la lithographie. Senefelder en a fait la base d'un procédé d'impression reproduisant des images. Il utilisait à l'origine des pierres lisses, mais il a vite compris qu'un léger grain offrait aux dessinateurs une élégante façon de rendre les modelés autrement que par des hachures.

    • Mise en place des textes et des illustrations

    La mise en place des textes et des illustrations a consisté, pendant tout le temps des procédures manuelles, à situer les lignes de caractères en plomb et les gravures sur bois aux endroits voulus des pages. Elle était un art autant qu'une technique. Ses règles, élaborées dès le XVIe siècle, sont encore respectées. Elles marient des considérations esthétiques en particulier la confection de lignes d'égale longueur aux contraintes imposées par la structure des éléments imprimants. Elles étaient appliquées par des ouvriers spécialistes, dits metteurs. Les paquets de plomb venus de composition étaient défaits et étalés sur un marbre (grande table située dans la proximité immédiate des presses). Les lignes de caractères étaient assemblées dans la quantité correspondant à la hauteur de page désirée et disposées en fonction des niveaux hiérarchiques à respecter (chapitres, paragraphes, notes, etc.). Les gravures sur bois étaient introduites aux endroits voulus, tandis que les titres, sous-titres, folios (numéros des pages), notes, légendes, etc., étaient installés à leur place. On obtenait ainsi des pages complètes qui étaient insérées dans de solides cadres initialement en bois, ultérieurement en métal où elles étaient assujetties par des dispositifs ad hoc de manière à créer des formes imprimantes prêtes à être montées sur les presses. L'association de pages complètes dans un cadre porte le nom d'imposition ; elle n'est pas, comme est la mise en place des textes et des illustrations, la dernière opération de la préparation, mais la première de l'impression.

    • Procédures photomécaniques

    Le compositeur manuel le plus exercé rangeait les caractères en lignes à raison de mille à mille deux cents signes à l'heure. Dès le XVIIIe siècle, le besoin s'est fait sentir d'une méthode plus rapide (le premier journal quotidien est né vers 1700). Un besoin analogue s'est manifesté dans la mise en forme des illustrations, domaine dans lequel la gravure sur bois et sur cuivre et, plus tard, la lithographie n'ont jamais pu satisfaire les demandes des éditeurs, et où l'obligation d'avoir recours à des exécutants très habiles, donc rares et chers, maniant eux-mêmes l'outil ou la plume engendrait une limitation insupportable. La solution a été apportée par les procédures photomécaniques, qui représentent une acquisition aussi importante pour les métiers graphiques que l'invention des caractères mobiles par Gutenberg, car elles ont permis à la fois l'essor de la typographie et la naissance des deux procédés qui ont donné son visage moderne à l'imprimerie : l'offset et l'héliogravure.

    Les procédures photomécaniques sont le fruit de la révolution industrielle. Comme leur nom l'indique, elles ont fait appel à des machines, dont la construction a été rendue possible par les progrès accumulés dans le travail des métaux, et à la lumière, source d'énergie laissée jusque-là sans application. Les machines ont démultiplié l'action de la main dans tous les secteurs de la production, tandis que la lumière a donné naissance aux deux techniques qui sont à la base de l'imprimerie moderne : la photographie, ou l'art de créer des images au moyen de substances photosensibles, et la photogravure, ou l'art de reporter lesdites images sur des formes imprimantes au moyen d'autres substances photosensibles.

    Les procédures photomécaniques se sont progressivement substituées aux procédures manuelles, avec lesquelles elles ont cohabité pendant des dizaines d'années. Elles ont considérablement accéléré la production et abaissé son coût, mais n'ont pas modifié l'organisation existante, jusqu'au moment les environs de l'année 1950 où l'offset et l'héliogravure, ayant pris leur essor, ont imposé la méthode de travail en deux temps, qui est devenue universelle : le premier temps est l'élaboration, à l'aide des équipements et des techniques de la photographie, de films transparents portant les textes et les illustrations mis en forme et mis en place dans des pages (ou des doubles pages ou toutes autres surfaces) prêtes à l'impression ; le second temps est la préparation, à l'aide des équipements et des techniques de la photogravure, de films transparents portant les pages (ou les doubles pages ou les autres surfaces) prêtes à l'impression, associées dans le nombre convenant au format des presses.

    • Mise en forme des textes

    La mise en forme des textes a connu la mécanisation avant la photographie. Dès le XVIIIe siècle, de nombreuses tentatives (on en a compté plus de deux cents) ont été faites en vue de construire des machines capables d'exécuter le travail des ouvriers à la casse, c'est-à-dire de ranger les caractères métalliques dans l'ordre voulu en formant des lignes d'égale longueur. Aucune n'a rencontré le succès aussi longtemps que les recherches se sont bornées à sélectionner au moyen d'un clavier ad hoc les caractères contenus dans un magasin en laissant sans solution le problème de la distribution, autrement dit du retour desdits caractères à leur emplacement d'origine après l'impression. Le principe qui a prévalu est autre : il consiste à fondre les signes de l'alphabet au fur et à mesure des besoins en partant de matrices appropriées et à les retransformer en lingots quand ils ont terminé leur tâche. Il a donné naissance aux célèbres Linotype et Monotype, qui sont apparues peu avant 1900 et qui ont dominé sans partage la composition pendant trois quarts de siècle.

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    Une Linotype (Deutsches Museum)                             Machine Monotype de fonte des caractères

    Les linotypes et les monotypes effectuaient la composition à la vitesse de cinq mille à huit mille signes à l'heure. Elles étaient actionnées par un clavier, qui était attenant à la machine chez les linotypes, qui constituait un dispositif autonome perforant une bande en papier chez les monotypes (depuis 1930, bon nombre de linotypes ont été commandées, elles aussi, au moyen d'une bande perforée produite sur un clavier séparé). Les doigts de l'opérateur ou les trous de la bande déclenchaient le mouvement de matrices métalliques creuses, qui se mettaient en place avant de recevoir le plomb en fusion. Les linotypes rangeaient les matrices en lignes complètes, qu'elles coulaient d'un seul coup. Elles étaient des fondeuses de lignes. Les monotypes créaient les caractères l'un après l'autre, puis les assemblaient en lignes. Elles étaient des fondeuses de caractères. Chez les unes et les autres, des dispositifs adéquats faisaient varier la largeur des espaces entre les mots de manière à fournir des lignes d'égale longueur, lesquelles s'accumulaient sur un plateau où elles étaient collectées à la main.

    Les caractères en plomb, qui sont en relief, étaient adaptés à l'impression typographique, elle aussi en relief. Ils ne convenaient ni à l'offset ni à l'héliogravure (dont les formes imprimantes sont préparées à partir de films transparents). C'est pourquoi les premiers offsettistes et les premiers héliograveurs ont été obligés de convertir les lignes de caractères en plomb en lignes de caractères sur film. Ils ont obtenu ce résultat en imprimant une pellicule transparente ou en imprimant une feuille de papier couché qui était ultérieurement photographiée. Les deux méthodes, lentes, laborieuses et coûteuses, ont été remplacées, après 1950, par la production directe de lignes sur film au moyen de photocomposeuses.

    Les premières photocomposeuses ont été des fondeuses de lignes en plomb dans lesquelles les matrices creuses étaient remplacées par des matrices photographiques négatives petits éléments en Plexiglas portant les signes de l'alphabet en clair sur fond noir et le creuset empli d'alliage fondu par une caméra. Elles ont très vite été abandonnées au profit de machines dites de la deuxième génération, qui faisaient elles aussi appel à des matrices photographiques négatives, mais étaient beaucoup plus rapides parce que possédant une structure mécanique spécialement conçue. Ces photocomposeuses de la deuxième génération ont été construites par un grand nombre de firmes dans un grand nombre de modèles, qui ont tous connu une vie brève. Elles ont cédé la place à des machines d'une toute autre conception, dont les matrices sont numériques et qui font appel aux méthodes de l'informatique.

    • Mise en forme des illustrations

    La mise en forme des illustrations a utilisé, dès 1850 c'est-à-dire bien avant que la mise en forme des textes ne fût mécanisée, la photographie, qui venait d'être inventée par Niepce et Daguerre. Elle y a ajouté la photogravure, qui a été créée quelques années plus tard par Gillot père et fils. La photographie a donné les moyens de reporter les images à reproduire sur des films transparents, et la photogravure ceux de transcrire lesdites images sur des formes imprimantes prêtes à l'impression. Ces formes imprimantes ont d'abord été des clichés typographiques métalliques qui se sont substitués aux gravures sur bois, puis, après 1900, les plaques de l'offset et les cylindres de l'héliogravure.

    La photogravure a été rendue possible par la découverte des colloïdes photosensibles, dont la première application est due à un autre Français, Alphonse Poitevin. Les colloïdes photosensibles disponibles à l'époque étaient des corps naturels connus depuis longtemps l'albumine du blanc d'œuf, la gélatine des tendons animaux , qu'on apprit à rendre sensibles à la lumière en leur incorporant un sel de chrome. En tant que colloïdes, ils forment avec l'eau des solutions visqueuses qui s'étalent bien sur des supports variés et engendrent par évaporation un revêtement continu. En tant que photosensibles, ils rendent ce revêtement continu capable de durcir par exposition à la lumière en devenant insoluble. Cette double faculté permet de créer sur des planches en cuivre ou en zinc par action de la lumière à travers des films transparents portant des images en blanc et noir d'une part des endroits protégés par un enduit devenu insoluble (sous les zones claires correspondant aux blancs desdites images), d'autre part des endroits où le colloïde reste soluble (sous les zones opaques correspondant aux noirs). Pour peu qu'on élimine l'enduit partout où il reste soluble et qu'on plonge les planches ainsi traitées dans un bain acide, le métal est attaqué dans les régions où il est à nu, perd de sa substance et diminue d'épaisseur, de sorte que les régions où il est protégé apparaissent en relief. Les professionnels de l'imprimerie ont mis à profit le phénomène pour produire des clichés typographiques qui, montés sur du bois ou du plomb de manière à rattraper la hauteur des caractères, pouvaient être insérés avec ces derniers dans des formes imprimantes composites. Les clichés de ce type ont été fabriqués par millions de mètres carrés jusqu'au moment où le vieux procédé en relief a abandonné le zinc et le cuivre en faveur de polymères photosensibles synthétiques et a aligné la préparation de ses formes imprimantes sur celle de l'offset et de l'héliogravure.

    Tout comme les gravures sur bois qu'ils remplaçaient, les clichés métalliques en relief ne pouvaient reproduire que des dessins au trait, ainsi appelés parce qu'ils contenaient seulement du blanc et du noir, à l'exclusion des gris, de sorte que le modelé des images, quand il existait, devait être rendu par des hachures. Cette limitation était due à la fois aux colloïdes photosensibles, qui travaillaient par tout ou rien, et au procédé typographique, qui dépose sur le papier une couche d'encre ayant une épaisseur uniforme. Elle n'a pas été gênante aussi longtemps que les sujets à reproduire ont été des œuvres d'artistes, qui rendaient les modelés par des traits. Elle est devenue insupportable lorsque l'invention des plaques au gélatino-bromure a permis la multiplication des photographies, c'est-à-dire d'images contenant en vertu du principe ayant présidé à leur formation (la libération in situ d'une quantité d'argent proportionnelle à l'éclairement reçu) une longue gamme de tons intermédiaires entre le blanc et le noir. La solution pour reproduire ces vues photographiques a été trouvée peu avant 1900 avec la trame quadrillée.

    Les trames quadrillées étaient à l'origine des plaques de verre portant en surface de fines lignes parallèles opaques, associées deux par deux avec un décalage de 90 degrés, de manière à faire apparaître par transparence un réseau à mailles carrées. Elles sont devenues des films spécialement fabriqués par des méthodes photographiques. Lorsqu'elles sont interposées au cours de la préparation des documents transparents appelés à contrôler l'insolation des colloïdes entre les sujets à reproduire et les surfaces sensibles, elles décomposent les gris desdits sujets en points d'étendue variable, d'autant plus grands que les gris sont plus foncés, d'autant plus petits qu'ils sont plus clairs. Elles accomplissent ainsi, par des voies purement physico-chimiques, le travail d'interprétation auquel les graveurs sur bois se livraient manuellement pour reproduire les modelés. Elles ont connu un succès foudroyant, parce qu'elles ont ouvert à l'imprimerie le monde de la photographie. Leur emploi est universel. Après avoir autorisé, dès le début du XXesiècle, la fabrication de clichés typographiques tramés dits similigravures ou autotypies, elles ont permis le développement de l'offset et de l'héliogravure, procédés qui se sont attachés dès leur origine à reproduire les sujets contenant des gris, et dits pour cette raison à tons continus.

    Les vues photographiques ont été en noir et blanc jusqu'au milieu du XXesiècle, époque à laquelle les premiers films polychromes du type Ektachrome sont devenus disponibles. Pendant toute cette période, la reproduction des couleurs est restée rare et chère, parce qu'elle ne pouvait traiter que des œuvres d'artistes peinture, aquarelles, gouaches, pastels ou des objets colorés tapis, tissus, bijoux, fleurs, fruits , dont le transfert dans les ateliers posait des problèmes difficilement surmontables. Contrairement à l'idée qui vient naturellement à l'esprit, les formes imprimantes servant à la reproduction des sujets en couleurs ne sont pas elles-mêmes en couleurs. Elles sont identiques à celles qui sont préparées pour la reproduction des sujets en noir et blanc à tons continus, et seules les encres sont colorées. La différence est que ces formes sont quatre au lieu d'une (trois déposent des encres respectivement jaune, rouge et bleue, la quatrième une encre noire) et que leur confection demande une opération supplémentaire, la sélection.

    • Reproduction des illustrations en couleurs

    La reproduction des illustrations en couleurs mérite une attention particulière, parce que sa généralisation représente l'un des grands événements graphiques du XXesiècle. Elle a connu un essor extraordinaire lorsque la fabrication en grandes séries des films à couches multiples du type Ektachrome a donné à tout un chacun la faculté de faire des vues photographiques polychromes. Elle repose sur l'observation, faite par le médecin anglais Young au début du XIXesiècle, que le système optique humain se comporte comme s'il n'était sensible qu'à trois types d'excitants colorés, de sorte que trois couleurs de base judicieusement choisies, mélangées en proportions convenables, reconstituent tous les aspects colorés rencontrés dans la nature. Cette observation a été exploitée cinquante ans plus tard par deux Français, Charles Cros et Louis Ducos du Hauron, qui ont inventé la méthode de reproduction trichrome adoptée partout dans le monde, non seulement par les métiers graphiques, mais encore par la photographie, le cinéma et la télévision. Cette méthode se déroule en deux temps : le premier est une analyse consistant à déterminer les proportions relatives de trois couleurs de base arbitrairement choisies le bleu, le vert, le rouge capables de reproduire pour l'œil la couleur originale de chaque point des sujets traités ; le second temps est une synthèse consistant à reconstituer pour l'œil la couleur originale de chaque point des sujets traités en déposant sur le papier ou sur tout autre support convenable les proportions relatives adéquates des trois couleurs de base.

    Les couleurs de base le bleu, le vert, le rouge ou, plus exactement, un certain bleu-violet, un certain vert-jaune et un certain rouge orangé ont été déterminées empiriquement, en découpant le spectre visible en trois portions égales. L'analyse et la synthèse les mettent en œuvre par l'intermédiaire de filtres. Les filtres sont des matériaux transparents ayant la propriété de laisser passer les radiations constitutives de la lumière dans une certaine partie du spectre celle qui correspond à leur couleur propre et de les arrêter dans les autres. Les filtres d'analyse sont de minces plaquettes en gélatine, spécialement fabriquées pour cet usage et colorées en bleu-violet, vert-jaune et rouge orangé. Ils laissent passer les radiations de la lumière dans un tiers du spectre et les arrêtent dans les deux autres tiers. Ils ont longtemps été mis en œuvre dans des matériels photographiques. Ils équipent maintenant des scanners. Dans les deux cas, leur intervention se traduit par l'obtention de trois films en noir et blanc un par filtre portant une image des sujets traités, image dont les degrés de noirceur – les gris – expriment les proportions relatives respectives de bleu-violet, de vert-jaune et de rouge orangé nécessaires en chaque point des sujets traités pour reconstituer sa couleur originale.

    Les trois films en noir et blanc issus de l'analyse servent à préparer par les méthodes de la photogravure trois formes imprimantes chargées d'effectuer la synthèse, c'est-à-dire de déposer sur le papier trois encres agissant comme autant de filtres. Contrairement à ce qu'on pourrait attendre, ces encres ne sont pas bleu-violet, vert-jaune et rouge orangé car, si elles avaient ces couleurs qui sont dues aux radiations appartenant à un tiers du spectre, donc à une absorption touchant les deux autres tiers , elles ne pourraient pas être superposées à l'impression sans étendre ladite absorption aux trois tiers, donc sans créer du noir. Elles ont en fait les couleurs complémentaires de celles des filtres d'analyse, c'est-à-dire qu'elles n'absorbent les radiations que dans un tiers du spectre et les laissent passer dans les deux autres tiers. Elles sont respectivement jaune (complémentaire du bleu-violet), magenta (complémentaire du vert-jaune), cyan (complémentaire du rouge orangé). Elles sont souvent appelées encres primaires jaune, rouge et bleue. Le jaune est une couleur inattendue amenée par un mélange de vert-jaune et de rouge orangé. Le magenta est un rouge violacé fait de bleu-violet et de rouge orangé. Le cyan est un bleu verdâtre fait de bleu-violet et de vert-jaune. Superposées deux par deux, elles reconstituent les couleurs de base. Superposées par trois, elles devraient faire apparaître du noir, mais ne fournissent qu'un brun sale, à cause de certaines imperfections des pigments auxquels elles doivent leurs couleurs. D'où l'idée, qui s'est généralisée, d'utiliser la forme imprimante des textes pour appliquer une image noire compensatrice dans les endroits où le jaune, le magenta et le cyan sont imprimés ensemble, de sorte que la trichromie devient quadrichromie. La quatrième forme imprimante est préparée au moyen d'un quatrième film de sélection, dont les valeurs de gris sont calculées par les scanners et dans lequel les textes sont insérés au cours d'une opération séparée.

    • Mise en place des textes et des illustrations

    La mise en place des textes et des illustrations a relevé des procédures manuelles aussi longtemps que l'impression est restée typographique. Elle a continué d'assembler sur le marbre des lignes de caractères en plomb issues des composeuses mécaniques et des clichés en relief produits par les ateliers de photogravure. Elle n'a trouvé son aspect moderne qu'avec l'avènement de l'offset et l'héliogravure, qui ont substitué des lignes de caractères sur film aux lignes de caractères en plomb et des images tramées ou non tramées elles aussi sur film aux clichés en relief.

    L'association des lignes de caractères sur film et des images sur film dans des pages prêtes à l'impression est appelée montage. Elle a été accomplie pendant plus de cinquante ans en même temps que l'imposition, dans des ateliers faisant partie des imprimeries offset et hélio. Les films portant les lignes de caractères et les images  tramées ou non tramées étaient découpés aux dimensions voulues et collés en place sur des feuilles plastiques ayant le format des presses. L'opération était exécutée sur des tables lumineuses dont la surface en verre, éclairée par en dessous, recevait un gabarit translucide sur lequel des traits indiquaient les limites des pages et, à l'intérieur des pages, les limites des zones occupées par les textes. Elle donnait naissance à des montages-impositions qui servaient à moduler l'action de la lumière sur le colloïde photosensible pendant la confection des formes imprimantes.

    Les photocomposeuses, éliminant les servitudes inhérentes au plomb matériau pratiquement intransportable à cause de la propension des paquets de caractères à se dissocier à la moindre occasion, ont autorisé les ateliers de composition à quitter la proximité immédiate des presses et à exécuter eux-mêmes la mise en place des textes. Bon nombre de ces ateliers se sont mis à fournir des pages montées de textes, dans lesquelles les lignes de caractères, y compris les titres, les sous-titres, les notes et autres, sont situées aux endroits appropriés et où seules les illustrations restent à insérer. De leur côté, certains ateliers de photogravure ont été conduits à produire des pages montées d'illustrations, dans lesquelles tous les sujets généralement en couleurs sont à leur place et où seuls les textes relativement peu importants doivent être ultérieurement introduits. Ces pages montées de textes et ces pages montées d'illustrations sont envoyées telles quelles dans les imprimeries, qui les complètent en leur incorporant des sujets isolés d'illustrations (dans le premier cas) ou des éléments isolés de textes (dans le second cas) en même temps qu'ils les imposent.

    Les difficultés survenant dans l'ajustement des textes et des illustrations au sein des pages certains textes pouvant paraître trop courts ou trop longs, certaines illustrations trop petites ou trop grandes ont longtemps nécessité le retour des films dans les ateliers d'origine. La constatation du temps ainsi perdu a fait naître l'idée de réunir les trois activités composition, photogravure, montage en pages en un seul et même lieu, sous une autorité commune. Ainsi sont nés des centres de préparation souvent étroitement liés aux services de création, qui produisent des pages montées complètes, où les textes et les illustrations sont à leur place et que les imprimeries n'ont plus qu'à imposer.

    • Procédures informatisées

    Les procédures informatisées ont été introduites dans les métiers graphiques au cours des années 1960. Elles se sont coulées pendant vingt-cinq ans dans l'organisation existante celle des procédures photomécaniques sans la modifier. Les matériels numériques de l'époque, relativement lourds et coûteux, ont été installés dans les ateliers de composition et de photogravure, où ils ont été utilisés à l'instar des équipements mécaniques et photographiques, c'est-à-dire sans que des dispositions particulières fussent prises pour exploiter pleinement leurs capacités intrinsèques. L'apparition dans les années 1980 de matériels informatiques construits en grandes séries, accessibles à un prix raisonnable et faciles à manier des ensembles faits d'un clavier et d'un écran, avec ses microprocesseurs et ses mémoires, parfois aussi d'une imprimante, a créé les conditions nécessaires à l'élaboration de véritables procédures informatisées en mettant à la portée de tous des stations de travail performantes, qui ont pu être installées à chaque niveau des activités de préparation, y compris aux moins techniques, comme celui des auteurs et celui des services de création.

    La grande originalité des procédures informatisées est d'avoir pour objet non plus des structures concrètes des lignes de caractères en plomb, des lignes de caractères sur film, des images gravées dans le bois et le métal ou dessinées sur pierre ou portées par des films transparents, mais des signaux électriques quasi immatériels représentant des nombres qui symbolisent les textes et les illustrations. Ces nombres, étant appelés à être traités par des ordinateurs et enregistrés dans des mémoires magnétiques, sont binaires, autrement dit faits de bits. Les opérations de mise en place et de mise en forme sont exécutées sur eux à la vitesse extrêmement grande des phénomènes électroniques, dont l'unité de temps est la nanoseconde (il y a autant de nanosecondes dans une seconde que de secondes dans trente ans). Les textes sont numérisés au moyen de codes, dont le plus usité attribue les valeurs de 1 à 128 (de 0 à 127 en langage binaire) à tous les signes de l'alphabet, c'est-à-dire aux lettres minuscules et majuscules, aux chiffres arabes, au point, à la virgule, au point-virgule, à l'apostrophe, au point d'exclamation, etc. Ces valeurs de 1 à 128 sont représentées par un octet (c'est-à-dire par huit bits, dont le huitième sert à un contrôle de transmission). Les illustrations, elles, sont décomposées en minuscules surfaces carrées, les pixels, dont l'ordre de grandeur (le centième de millimètre) est inférieur au seuil de visibilité. À chacun de ces pixels est affecté un nombre binaire exprimant son degré de noirceur ou de couleur : un nombre d'un bit soit 0 ou 1 quand le sujet, étant au trait, ne contient que du blanc et du noir ou du blanc et une couleur plate ; un nombre d'un octet soit 0 et 255 lorsque le sujet, étant à tons continus (comme les vues photographiques), contient des gris ou des couleurs dégradées. On distingue généralement 256 niveaux de gris ou de couleurs plus ou moins dégradées entre le blanc, qui est considéré comme le gris le plus clair ou la couleur la plus dégradée, et le noir et la pleine couleur, qui sont considérés comme le gris le plus foncé ou la couleur la moins dégradée, sauf lorsqu'on se contente par économie de 64 niveaux de gris ou de couleurs, qui permettent d'employer des nombres de six bits au lieu de huit.

    En moins d'une génération, les procédures informatisées ont complètement accaparé la mise en forme et la mise en place des textes, qui sont exécutées sans problème par des stations de travail à écran. Elles partagent avec les procédures photomécaniques la mise en forme et la mise en place des illustrations, domaine dans lequel les quantités de bits mises en œuvre sont considérables et exigent des ordinateurs comparativement puissants liés à des mémoires de forte capacité, dont les temps de lecture ralentissent la production. Ces quantités de bits sont à proprement parler énormes. Une décomposition en pixels effectuée à 300 lignes au pouce (120 lignes au cm), valeur tout à fait courante dans les métiers graphiques, fait naître environ 100 000 pixels au pouce carré, soit à peu près 15 000 au centimètre carré ou encore plus d'un million et demi pour un sujet mesurant 9 centimètres sur 12 centimètres. Une illustration reproduite dans ce format 9 centimètres sur 12 centimètres requiert par conséquent plus d'un million et demi de bits quand elle est au trait, à peu près 12 millions quand elle est à tons continus. Ces valeurs doivent être multipliées par deux lorsque les sujets sont imprimés en noir avec une couleur d'accompagnement, par quatre lorsque les sujets, étant polychromes, sont imprimés en quadrichromie.

    Comme toutes les applications de l'informatique, les opérations pratiquées sur les textes et sur les illustrations sont exécutées en trois temps : entrée des données, traitement des données, sortie des données.

    • Opérations pratiquées sur les textes

    Les opérations pratiquées sur les textes commencent par la saisie (en langage informatique : l'entrée des données). La saisie est l'attribution d'un nombre binaire à chaque signe des textes à reproduire. Elle est accomplie au moyen des claviers de stations de travail à écran situées soit chez les auteurs, qui acquièrent ces matériels comme ils acquéraient autrefois des machines à écrire, soit dans les services de création lorsque les auteurs livrent des manuscrits dactylographiés, soit dans les imprimeries lorsque les services de création ne sont pas équipés pour l'informatique. Elle donne naissance à des disquettes souvent accompagnées de versions écrites produites par des imprimantes ou à des enregistrements directs sur les disques durs de grandes mémoires magnétiques communes à plusieurs stations.

    Le deuxième temps des opérations le traitement des données assure la mise en forme et la mise en place des textes. Dans l'état actuel des choses, la mise en forme est partagée entre les services de création, qui en exécutent une partie notamment la révision rédactionnelle au moyen de stations de travail à écran (à la main lorsque ni les auteurs ni les services de création ne sont équipés pour l'informatique), et les ateliers spécialisés (appartenant de plus en plus souvent à des centres de préparation), qui en accomplissent l'autre partie en particulier la composition proprement dite. La mise en place est effectuée en même temps que la mise en forme et par les mêmes stations. Elle donne naissance à des pages montées de textes, dans lesquelles les illustrations sont ultérieurement insérées soit à la main, soit par voie informatique. Dans le second cas, elle est exécutée dans le cadre de coordonnées cartésiennes définissant les positions respectives des alinéas, des paragraphes, des titres, des sous-titres, des notes et autres éléments constitutifs des pages. Les instructions nécessaires sont communiquées aux microprocesseurs des écrans par les claviers et par des formats (les formats sont, dans cette acception, des séries d'instructions préenregistrées définissant des suites d'enchaînements logiques).

    Le troisième temps des opérations pratiquées sur les textes, la sortie des données, est la reconversion des nombres binaires en signes alphabétiques. Il est effectué par des composeuses dont le principe de fonctionnement n'a plus rien de commun, si ce n'est la production de lignes de caractères sur film ou sur papier sensible, avec celui des machines de la deuxième génération. Au lieu de former comme elles des lettres individuelles et de ranger ces lettres les unes après les autres en lignes, ces nouvelles composeuses, ignorant la notion de caractère, considèrent les pages entières comme autant d'images auxquelles elles appliquent la décomposition en pixels conçue pour les illustrations. Cette décomposition commence par l'envoi sur un R.I.P. (pour raster image processor, processeurs d'images pixellisées) des nombres issus du traitement des textes. Les R.I.P. sont des ordinateurs spécialisés. Ils vont chercher dans une typothèque les informations numériques nécessaires à la construction des caractères requis par la composition dans le style choisi par les services de création (ce sont les coordonnées de vecteurs et d'arcs décrivant les contours des lettres) et agissent sur elles pour obtenir les corps désirés. Ils substituent ces données aux nombres symbolisant les textes et créent, grâce à elles, des chaînes de 0 et de 1 représentant des pixels noirs et blancs, qui s'étendent sur toute la largeur des pages et se succèdent sur toute leur hauteur. Cet arrangement des 0 et des 1 est appelé bitmap, littéralement carte géographique des bits. Envoyé sur la photocomposeuse, il contrôle l'action d'un rayon laser qui balaie de gauche à droite et de haut en bas une surface photosensible réceptrice, sur laquelle il fait apparaître des chaînes de pixels noirs et blancs, noirs lorsqu'il n'est pas dévié ou interrompu par une instruction adéquate, blancs dans le cas contraire. Ces chaînes successives, couvrant comme les bitmaps toute la largeur des pages et toute leur hauteur, créent progressivement l'image des lignes de caractères disposées comme il se doit. Bon nombre d'imprimantes obéissent au même principe.

    • Opérations pratiquées sur les illustrations

    Les opérations pratiquées sur les illustrations sont généralement exécutées par des matériels qui effectuent à la fois l'entrée et le traitement des données, souvent aussi la sortie. L'entrée des données est la décomposition des images en pixels. Elle est accomplie par des scanners de divers types. Les scanners sont des dispositifs dans lesquels un mince rayon de lumière balaie ligne après ligne les sujets, enroulés autour d'un cylindre ou étalés à plat sur une table. La portion non absorbée de ce rayon celle qui est transmise par les sujets transparents ou réfléchie par les sujets opaques est recueillie telle quelle sur une cellule photoélectrique lorsque les sujets sont en noir. Elle est répartie en trois faisceaux qui sont dirigés sur trois filtres (respectivement bleu-violet, vert-jaune et rouge orangé), puis envoyés sur trois cellules photoélectriques, lorsque les sujets sont en couleurs. Les cellules photoélectriques transforment l'énergie lumineuse variable qu'elles reçoivent en courants continus, eux aussi variables. Ces courants sont aussitôt découpés en minuscules unités arbitraires, à chacune desquelles est attribué un nombre exprimant son intensité et, par voie de conséquence, le degré de noirceur ou de couleur du pixel auquel il est attaché. Lesdits nombres sont automatiquement rangés en bitmaps : un seul bitmap lorsque les sujets sont en noir et blanc, trois bitmaps (un pour les constituants bleu-violet, un pour les constituants vert-jaune, un pour les constituants rouge orangé) lorsque les sujets sont en couleurs. Des appareils d'un autre type font défiler les sujets à reproduire sous de très petits éléments semi-conducteurs, dont chacun détecte la lumière transmise ou réfléchie par un pixel et transforme son énergie lumineuse en une impulsion électrique à laquelle est attribué un nombre binaire. Ces éléments sont groupés en une barrette lorsque les sujets sont en noir, en trois barrettes précédées des filtres adéquats lorsque les sujets sont en couleurs. Dans les deux cas, les nombres sont rangés en bitmaps.

    Le traitement des données suit l'analyse. Il effectue les opérations de mise en forme et, dans certains cas, de mise en place sur les bitmaps, par modification, suppression, acquisition et interversion des nombres. La mise en forme comprend les classiques cadrages, agrandissements, réductions, détourages, imbrications, etc., des procédures photomécaniques, auxquels s'ajoutent la sélection lorsque les sujets sont en couleurs et le tramage pour l'impression lorsque les sujets en noir ou en couleurs sont à tons continus. La sélection transforme les trois bitmaps d'analyse en quatre bitmaps de synthèse, aptes à contrôler les organes de sortie chargés de fournir les films transparents destinés à préparer les formes imprimantes du jaune, du magenta, du cyan et du noir. Il calcule pour ce faire le bitmap du noir à partir des trois autres, dans la préparation desquels il introduit les modifications imposées par les imperfections colorimétriques des encres (qui n'ont pas une transmission et une absorption parfaites), ainsi que par d'autres considérations techniques. De son côté, le tramage pour l'impression s'applique aux seuls bitmaps dont les nombres sont compris entre 0 et 255 (ou entre 0 et 63). Il consiste à convertir par calcul les pixels gris que ces nombres représentent en pixels noirs, puis à associer ces pixels noirs dans les quantités requises pour créer des points de trame, c'est-à-dire des surfaces plus grandes elles sont perceptibles par l'œil comportant des dimensions variables, relativement petites dans les tons clairs, relativement étendues dans les tons foncés.

    Le traitement des données relatives aux illustrations est exécuté soit par les scanners qui font l'analyse, soit par des stations de travail conçues à cette fin. Lorsque les sujets sont en couleurs, il comprend souvent la mise en place. Certains constructeurs de scanners de sélection exploitent en effet la décomposition en pixels – et les capacités accrues des composants électroniques pour situer les illustrations aux endroits voulus des pages, de manière à fournir aux imprimeries non plus des sujets isolés d'illustrations, mais des pages montées d'illustrations, dans lesquelles seuls les textes restent à insérer. L'opération est intéressante lorsque les illustrations constituent l'ossature des ouvrages, comme dans les catalogues de vente par correspondance.

    La sortie des données marque l'achèvement des opérations exécutées sur les illustrations. Elle est la conversion des nombres binaires en traits noirs et en points de trame noirs portés par des films transparents, et parfois aussi par des papiers sensibles. Lorsque les sujets sont en noir et blanc, elle est exécutée par les scanners qui pratiquent l'analyse et le traitement, à moins que les bitmaps finals ne soient directement envoyés sur une station de travail appelée à mettre simultanément en place les textes et les illustrations. Lorsque les sujets sont en couleurs, elle est accomplie soit comme dans le cas précédent par les scanners pratiquant l'analyse et le traitement, soit par des imageuses, qui sont des dispositifs identiques aux photocomposeuses, c'est-à-dire qui mettent en œuvre un rayon laser balayant les surfaces réceptrices sous le contrôle des bitmaps faits de 0 et de 1.

    • Confection de pages complètes

    Le but final des procédures informatisées est de fournir des pages complètes prêtes à l'impression, autrement dit dans lesquelles les textes et les illustrations sont à la fois mis en forme et mis en place. Divers matériels et logiciels atteignent ce résultat dans des conditions de délai et de coût qui commencent à être acceptables. Ils ont malheureusement l'inconvénient d'exiger des équipements relativement lourds et onéreux quand le déroulement des opérations ne souffre pas d'être ralenti par la multiplicité des bits. C'est pourquoi la méthode de travail la plus répandue combine les procédures informatisées et les procédures photomécaniques. Elle confie aux premières la réalisation de pages montées de textes et de sujets isolés d'illustrations ou de pages montées d'illustrations et d'éléments isolés de textes, et laisse aux secondes la tâche de combiner ces constituants pour produire des pages complètes prêtes à l'imposition.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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  • Le livre imprimé s'était lentement dégagé, au cours du XVesiècle, de son modèle manuscrit. Cependant, cette évolution n'était pas entièrement accomplie en 1500. La typographie n'était pas encore normalisée et les caractères romains étaient rarement utilisés en dehors de l'Italie. De plus, la page de titre, en général, n'avait pas encore pris son aspect moderne.

    • La révolution typographique en Europe

    Le triomphe de l'écriture romaine face aux écritures nationales dans toute une partie de l'Europe à partir des années 1530 s'explique d'abord par le prestige de son origine et par celui des lettres latines. Mais aussi par le fait que cette écriture était soutenue par une véritable idéologie. Si en effet la minuscule humanistique apparaît comme une construction bâtarde résultant de l'adaptation de l'écriture caroline par des lettrés de la fin du XIVesiècle et du début du XVesiècle, artistes et calligraphes italiens, désireux d'atteindre une perfection qui ne pouvait être qu'unique, étudièrent avec passion les inscriptions antiques et s'efforcèrent, tel le fameux Luca Pacioli qui était proche de Léonard de Vinci, de déterminer mathématiquement les proportions idéales de la capitale romaine. Alde Manuce reste le principal initiateur de la révolution qui devait provoquer le triomphe de l'écriture ainsi conçue. On sait qu'il s'était associé au grand libraire Andrea Torresano di Asola qui avait repris le fonds de Nicolas Jenson. Il fit réaliser par un graveur de poinçons remarquable, Angelo Griffo, trois séries de caractères : des caractères grecs, des caractères romains et, enfin, les premières italiques connues qui servirent notamment à imprimer une série de textes classiques en format in-octavo, inaugurée par un Virgile en 1501.

    Les caractères romains d'Alde apparurent pour la première fois dans le De aetna de Pietro Bembo (1495). Ils se caractérisent par un allégement des bas de casse, par une subtile répartition des pleins et des déliés et par la présence de plusieurs variantes pour certaines lettres, qui donnent aux pages imprimées un aspect aéré et harmonieux tout en leur conférant un éclairage inédit.

    manuce-bembo-de-aetna

    Première page du De Ætna, de Pietro Bembo, 1496.

    Ils apparurent complétés et améliorés encore dans le célèbre Hypnerotomachia Poliphili (1499), grâce notamment à des capitales qui semblaient modelées sur les inscriptions antiques et dont les proportions délicates se conformaient aux leçons des théoriciens de la Renaissance italienne qui devaient trouver leur aboutissement dans le traité De divin proportione du frère Luca Pacioli, publié précisément à Venise en 1509.

    À partir de la fin du XVesiècle, tandis que la mode des auteurs antiques se développait un peu partout, de grands libraires étrangers commencèrent à utiliser plus ou moins systématiquement le caractère romain. Il en alla ainsi à Bâle pour Amerbach, à Nuremberg pour Koberger et, un peu plus tard, à Paris pour Josse Bade. Il suffit cependant d'examiner les ouvrages édités par ce dernier pour mesurer le chemin qu'il restait à parcourir pour que le reste de l'Europe rattrapât l'Italie. Bade n'a pas abandonné le goût de l'écriture gothique qu'il juge mieux adaptée lorsqu'il s'agit d'inscrire en gros caractères les éléments les plus frappants du titre ou d'indiquer au haut des pages les titres courants. Il utilise de même volontiers encore des mises en page avec gloses et foliote ses ouvrages en chiffres romains. Cependant, Peter Schoeffer le Jeune et les graveurs bâlois qui dominaient le marché des caractères surent évoluer. Les ouvrages imprimés pour Érasme par Froben, successeur d'Amerbach, utilisent une lettre romaine inspirée de l'aldine et ont déjà une allure moderne. Par ailleurs, Peter Schoeffer le Jeune fut le premier à réaliser hors d'Italie une italique aux capitales penchées (1519).

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    Peter Schöffer (ou Pierre Schoeffer), né vers 1425 et mort vers 1503 à Mayence dans le Saint-Empire romain germanique, est un typographe-imprimeur allemand qui perfectionna l'invention de Gutenberg, la presse typographique. Son habilité technique lui a assuré une place capitale dans l'histoire de l'imprimerie typographique. Source : http://fr.wikipedia.org

     

     

    Il semble que les membres de l'entourage du roi jouèrent un rôle décisif dans l'adoption du caractère romain en France, en une époque où la société civile tout entière vivait dans le culte de Rome et de l'Italie. C'est alors que Geoffroy Tory, qui avait longuement parcouru ce pays et y avait appris le dessin sous les meilleurs maîtres, publia son Chamfleury. Dans cet ouvrage, paru en 1529, et qui était en principe destiné à enseigner aux décorateurs à inscrire en lettres romaines des devises ou des sentences sur les tableaux, les tapisseries, les poutres et les murs des demeures seigneuriales, l'auteur s'efforçait de retrouver des concordances symboliques entre les proportions des caractères romains et celles du corps humain, et de tracer les capitales à l'aide du compas et de la règle. En même temps, il s'affirmait comme un théoricien de l'orthographe. Devenu imprimeur du roi en 1529, il se servit d'une cédille maladroitement réalisée et de deux sortes d'accents lorsqu'il imprima pour Roffet l'Adolescence clémentine de Marot – et cela en 1533, l'année où était précisément publié chez Antoine Augereau, en même temps que le Miroir de l'âme pécheresse de Marguerite de Navarre, un mystérieux livret, la Briefve Doctrine pour deuement escripre selon la propriété du langaige françoys, qui prône notamment l'usage de l'apostrophe.

    Ce fut dans ces conditions que se développa en France une école remarquable de tailleurs de caractères, dont les plus connus sont Simon de Colines, Claude Garamond, Antoine Augereau, Chrétien Wechel, Pierre Haultin et Robert Granjon. Collectivement qualifiées de « garamonds », leurs réalisations se présentent comme des types aldins progressivement modifiés par une gravure plus rigoureuse dans le détail. En même temps, enfin, on voyait s'élaborer à Lyon auprès de Jean de Tournes un style nouveau de typographie, avec l'invention par Bernard Salomon, gendre de Granjon, des « arabesques » et des fleurons, utilisés notamment dans des encadrements de pages, qui renouvelèrent la présentation du livre.

    Ces personnages, d'origine souvent modeste, constituaient un groupe très homogène, lié aux lettrés de l'entourage de Marguerite de Navarre ainsi qu'à des théoriciens de l'orthographe tels qu'Étienne Dolet. Le grand problème était pour eux non seulement de proposer des lettres élégantes, mais de trouver des artifices permettant de mieux traduire les sons de la langue française et de mettre au point des formes de ponctuation favorisant la compréhension d'un texte au cours d'une lecture muette et cursive. On conçoit donc que les alphabets qu'ils gravèrent en étroite liaison avec les grands imprimeurs humanistes de leur temps aient constitué à l'image de celui que réalisa Claude Garamond pour Robert Estienne et qui servit à réaliser l'In linguam gallicam Isagoge de Jacques Dubois, première grammaire française imprimée dans notre pays (1531) des événements non seulement pour l'histoire de la lettre, mais aussi pour celle qu'on appelle l'orthotypographie. C'est à cette époque et dans ces milieux qu'on s'efforce par exemple de distinguer le v du u ou le j du i et que se fixent non seulement les normes de la ponctuation et de l'accentuation modernes, mais aussi celles de l'orthographe, au terme de multiples tentatives et de longues discussions. Ainsi, l'intervention du compositeur contribua-t-elle à provoquer la disparition de variantes et, parallèlement, la nécessité de séparer plus nettement les mots avec l'apostrophe, et aussi les groupes de mots par une ponctuation mieux réglée et plus nette. De sorte que, tandis que les nécessités de la casse provoquaient la suppression de la plupart des abréviations, les accents et les signes de ponctuation que nous connaissons s'y trouvaient introduits. L'art typographique imposa donc une certaine unité et généralisa des pratiques tendant à la clarté. Mais les typographes restèrent hostiles à l'adoption d'une orthographe purement phonétique qui aurait bouleversé leurs méthodes et n'aurait au reste pas permis à l'œil de distinguer les homonymes.

    • Émergence du livre moderne

    C'est dans ce climat que les grands imprimeurs humanistes, et notamment ceux de la famille des Estienne, se firent les initiateurs des mises en texte modernes. Leur influence se manifeste d'abord dans la présentation des pages de titre. Aux titres enrobés dans des formules pompeuses et insérés dans des décors gravés sur bois qui caractérisent la production de Josse Bade ou même de Froben à Bâle succèdent parfois des titres sobres, voire agressifs, dégagés de tout contexte, vite composés non plus d'un mélange disgracieux de capitales et de bas de casse, mais bien de capitales de grandes dimensions, dégageant les mots significatifs. De même l'adresse insérée au bas de la page devient plus sobre et plus claire. Si bien qu'on en arrive à ces chefs-d'œuvre typographiques que constituent par exemple les œuvres de Cicéron données par Robert Estienne en 1538-1540, ou encore la Bible que Jean de Tournes publia en 1554. De telles formulations, cependant, apparaissent aux traditionalistes du temps aussi agressives que de nos jours certaines publicités et ne se rencontrent que dans un nombre réduit de publications, pour seulement quelques décennies. C'est ainsi que les titres des superbes éditions que Simon de Colines, ce metteur en page émérite, donne des différentes œuvres d'Oronce Fine apparaissent insérés dans des encadrements quelque peu maniéristes. Une pratique « publicitaire » s'annonce, qui va réserver une importance de plus en plus grande au décor et bientôt à l'image symbolique dans la présentation des livres qui sera celle de l'époque baroque, où les titres seront gravés en taille douce au centre d'une page remplie de figures allégoriques offrant comme un résumé du contenu de l'ouvrage. La mise en page des textes proprement dits apparaissait encore au début du XVIesiècle essentiellement variable et tributaire des modes de présentation des textes manuscrits. Peu à peu, cependant, se développe un effort de clarification et de normalisation. Là encore, Alde Manuce s'était posé en initiateur en inaugurant, avec ses petites éditions in-octavo en caractères italiques, une nouvelle forme de présentation des grands textes, imprimés dans un format maniable et sans commentaires afin d'en faciliter la lecture cursive.

    Mais le grand nom est évidemment ici celui de Robert Estienne. Il multiplie les efforts pour rendre plus facilement accessibles les textes qu'il publie. D'abord, donc, la Bible aux versets de laquelle il donne dans une édition de 1549 la numération aujourd'hui universellement adoptée. De même, les imprimeurshumanistes, qui éditent les grands classiques et les Pères de l'Église, généralisent la présentation des chapitres en paragraphes numérotés ; cette tâche se trouvera achevée à la fin du XVIesiècle, et on cite encore de nos jours Platon et les Moralia de Plutarque selon l'édition de Henri II Estienne, fils de Robert Estienne. En même temps, Robert Estienne et ses émules s'efforcent de dégager la page des éditions savantes de son encadrement glosé et de la doter d'un apparat discret et rationnel. Entendant fournir à la fois les indications concernant les variantes textuelles et les explications de certains termes ou expressions, il utilise d'abord une infinité de signes (lettres, chiffres et lemmes) pour leurs renvois, et en parsème la marge extérieure et le bas des pages.

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    Première édition de la monumentale Bible latine donnée par le savant imprimeur et humaniste Robert I Estienne (1503-1559), et sa première publication in-folio.

    Cependant, notre système d'annotations simple et brutal ne triomphera que dans la seconde moitié du XVIIesiècle. Enfin, les pièces de théâtre antiques, et notamment celles de Térence, sont désormais divisées en actes et en scènes.

    Au total, le livre de la fin du XVIesiècle commence donc à prendre un aspect moderne. Les pièces liminaires composées par des amis de l'auteur à sa gloire restent, certes, abondantes. Mais la préface moderne, offrande solennelle garnie de bandeaux et de lettres ornées à quelque grand personnage, commence à être inscrite en italiques en tête de l'ouvrage. Et l'orthographe et la ponctuation des livres en français commencent à obéir aux normes actuelles. Qu'on ne s'y trompe pas, pourtant, la plupart des œuvres écrites en langues nationales se présentent plus que jamais sous forme de discours se poursuivant à longues lignes durant des séries de pages. Tout au plus peut-on discerner dans des éditions particulièrement soignées de légers espaces blancs séparant à l'intérieur de la même ligne la fin d'une phrase et le début de la suivante. Comment, dans ces conditions, les lecteurs du XVIesiècle pouvaient-ils lire les textes de Rabelais ou de Montaigne qui se présentaient au long de séries de pages pratiquement sans paragraphes ? La présentation serrée de certains autres textes est encore plus surprenante, par exemple dans le cas de certaines éditions de l'Imitation de Jésus-Christ, et cela jusqu'aux années 1610-1620. Bien plus, l'ensemble des contes et des romans, de Boccace à Marguerite de Navarre, et d'Honoré d'Urfé à Madeleine de Scudéry, comportent, certes, des formes de coupure grâce à l'introduction dans le texte de lettres missives parfois précédées d'un titre, ou encore de conversations. Mais, à cause de sa forme continue, la mise en imprimé ne permet pas, à la lecture de longs dialogues entre plusieurs personnages, de savoir qui prononce une réplique. De même, la présentation des pièces de théâtre en langue vulgaire demeura longtemps si anarchique, notamment en Angleterre et en France, qu'on comprend mal comment de tels textes pouvaient être compris en une lecture muette et cursive.

    On s'étonne de voir ainsi mis en texte les œuvres d'auteurs célèbres, assurément avec l'accord de ceux-ci. Une telle présentation s'explique pourtant fort bien. Le texte imprimé fut longtemps conçu comme la représentation fidèle d'un discours oral, fictif ou non, en un monde où l'oral et l'écrit prétendaient encore tenir un langage identique. Ainsi, les genres littéraires les plus appréciés à l'époque classique la poésie, le théâtre et le sermon furent des genres relevant de la récitation à haute voix, donc de la rhétorique de l'oral. Peu à peu, cependant, l'écrit impose ses normes. Charles Estienne, le frère de Robert, propose le premier en France, pour le théâtre en langue nationale, des formes de présentation régulières et claires qui n'iront pas sans influer sur l'élaboration des règles de notre théâtre classique. Parallèlement, l'habitude s'impose de diviser en paragraphes les textes en langue française. Cette habitude apparaît d'abord peut-être dans les livres de spiritualité du début du XVIIesiècle par exemple dans l'édition de 1611 de l'Introduction à la vie dévote de saint François de Sales. Elle pénètre lentement dans les romans du temps. Et il est caractéristique de constater que le terme même d'alinéa semble avoir été emprunté au vocabulaire de l'imprimerie par Guez de Balzac en 1644. On ne doit donc pas s'étonner si le Discours de la méthode fut, du moins à notre connaissance, le premier ouvrage de philosophie en français mis en paragraphes. Ainsi s'imposèrent de nouvelles formes de présentation des livres et, sans doute aussi, une autre manière de « regarder » et de lire un texte en un temps où, précisément, la mode de la carte géographique se répandait en France.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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  • On sait que l'imprimerie apparut en Occident vers le milieu du XVesiècle. L'art typographique acheva alors d'être mis au point à Mayence par Gutenberg, aidé du riche praticien Johann Fust ainsi que de Peter Schoeffer, qui allait devenir le gendre du précédent dans une Allemagne en plein essor où l'industrie métallurgique faisait de grands progrès et où les textes devenaient l'objet d'une demande massive. Mais il dépassa son objectif pour engendrer finalement une nouvelle vision du message écrit.

    • Du manuscrit à l'incunable

    À l'origine, les imprimeurs n'eurent pas d'autre but que d'imiter le plus précisément possible les modèles manuscrits qu'ils devaient reproduire. Ils ne firent donc précéder les premiers textes qu'ils publièrent que d'un incipit à l'image de ceux-ci, et se contentèrent de substituer aux indications données dans l'explicit par certains copistes leur adresse, ainsi que, éventuellement, celle du libraire qui avait participé à l'édition ou à la diffusion de l'ouvrage, à laquelle ils joignaient la date de l'achevé d'impression de leur ouvrage et, parfois aussi, leur marque sorte de sigle propre à leur firme ou celle du libraire éditeur qui avait financé l'affaire. De même, ils n'hésitèrent pas à recourir systématiquement aux rubricateurs et aux enlumineurs pour peindre ou inscrire les lettres ornées et les divers signes de couleur qui indiquaient les articulations des textes manuscrits.

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    Guillaume Jouvenel des Ursins rendant visite à son enlumineur

    Peu à peu, cependant, imprimeurs et libraires éditeurs furent amenés à se dégager de ce modèle initial. Ainsi, ils prirent assez tôt l'habitude de ne rien inscrire sur le premier feuillet qui se trouvait souvent souillé lorsque les ouvrages étaient conservés en blanc dans les magasins avant d'être reliés. Puis ils commencèrent à inscrire au recto de ce feuillet blanc le titre de l'ouvrage auquel ils ne tardèrent pas à joindre leur marque, ainsi que leur adresse. Après quoi, ils remplirent les espaces restés blancs en insérant le titre proprement dit dans de longues formules volontiers hyperboliques vantant les mérites de l'auteur ainsi que les qualités de son œuvre (fin du XVesiècle - début du XVIesiècle). Plus qu'une « étiquette », la page de titre fut donc à l'origine une publicité la première publicité moderne.

    Imitant toujours les techniques des copistes, les imprimeurs ne donnèrent initialement aucune indication permettant aux relieurs de ranger les cahiers et les feuillets en bon ordre. Il fallait donc inscrire aux pages de chaque exemplaire, ou joindre sur un feuillet séparé, les mentions manuscrites nécessaires. Celles-ci furent ensuite imprimées dans le livre pour des raisons de commodité évidentes. Ainsi apparurent au bas des pages les signatures indiquant, à l'aide d'une lettre, l'emplacement de chaque cahier dans le volume et, à l'aide d'un chiffre suivant cette lettre, l'ordre des feuillets dans le cahier. Il en alla de même pour les réclames indiquant à la fin d'une page ou d'un cahier les premières lettres du début de la page suivante. Enfin, le registre indiquant les premiers mots des cahiers ou des feuillets fut normalement imprimé à la fin du dernier cahier du livre. Ces pratiques se généralisèrent à la fin du XVesiècle selon des modalités très diverses correspondant à des habitudes d'ateliers. En même temps, on commença à imprimer le numéro de chaque feuillet puis, plus tard, de chaque page, au-dessus de la composition. Soit une évolution qui fournit aux rédacteurs de tables un nouveau système de repères.

    Par ailleurs, tandis que les livres imprimés se multipliaient, la technique de la gravure sur bois, pratiquée dès les dernières années du XVesiècle, avait entraîné l'éclosion d'une floraison de livrets xylographiques où le texte et l'image étaient gravés simultanément, ce qui offrait une grande souplesse de mise en page, comme on le voit par exemple dans les fameuses Bibles des pauvres, qu'on peut dater des années 1460, mais dont les premières réalisations gravées sont sans doute antérieures. Cependant, on préféra finalement à cette solution les livres typographiques illustrés réalisés en insérant dans la forme typographique des gravures sur bois, susceptibles d'être imprimées du même coup de barreau de la presse. Cette technique, inaugurée à Bamberg par Pfister en 1460-1462, fut largement utilisée à l'issue d'une longue lutte, à partir des années 1470. Elle imposa une autre forme d'équilibre entre le texte et l'image – cette dernière se trouvant peu à peu réduite à jouer le rôle d'illustration du discours écrit. En même temps, on substitua aux initiales peintes des lettres ornées gravées sur bois et on tendit à se dispenser de plus en plus de l'aide coûteuse des rubricateurs. Du même coup, le système de repères de couleurs pratiqué dans les manuscrits universitaires disparut.

    • Les caractères typographiques

    La normalisation de la typographie se réalisa bien plus lentement. On sait que les copistes avaient coutume d'utiliser des écritures différentes selon la nature du texte et le degré, de solennité de l'ouvrage. Les livres d'Église et parfois les Bibles étaient calligraphiés en lettres de forme rigide et aux brisures nombreuses, les ouvrages universitaires étaient copiés en lettres de somme, rondes, de petit module et avec de très nombreuses abréviations soigneusement convenues, tandis que les livres en langues vulgaires utilisaient volontiers les écritures gothiques bâtardes mises au point pour les documents de chancellerie. Enfin, les textes des classiques latins, et plus généralement les manuscrits d'inspiration humaniste, faisaient appel à l'écriture humanistique, ancêtre du romain et de l'italique typographique écriture artificielle inspirée d'une caroline tardive, dont la mise au point avait été réalisée en Italie au début du XVesiècle. Par ailleurs les écritures variaient selon les pays et les régions. C'est ainsi que les scribes de l'université de Bologne avaient par exemple mis au point une écriture ronde de gros module, très différente de la lettre de somme Parisienne, tandis que les bâtardes des chancelleries d'Angleterre, de France, de Bourgogne ou d'Allemagne présentaient des différences notables.

    Là encore, les imprimeurs avaient voulu à l'origine suivre au plus près leurs modèles manuscrits, quitte à tailler régulièrement de nouvelles séries de caractères et à reproduire des lettres liées en les gravant sur le même poinçon. Cependant, de telles pratiques s avérèrent vite onéreuses et l'usage des lettres liées comme celui de trop nombreuses abréviations compliquaient la tâche des compositeurs. Dans ces conditions, une certaine uniformisation tendit à s'opérer tandis que les typographes s'adressaient, pour se fournir en matrices ou en caractères, à des officines typographiques qui pratiquaient souvent ce genre de commerce sur une large échelle.

    • Les mises en texte

    Tenant compte de la concurrence des copistes et désireux de ne point heurter les habitudes de lecture de leurs clients, les imprimeurs du XVesiècle copièrent d'abord dans toutes leurs variétés les mises en textes des livres manuscrits. S'avérant d'emblée metteurs en page émérites, ils se montrèrent capables de résoudre, lorsque cela était utile, les problèmes techniques les plus délicats. Ainsi, la Bible à quarante-deux lignes apparaît déjà comme un chef-d'œuvre typographique. De même, les premières éditions savantes reproduisent exactement la présentation des textes scolastiques, et on continua longtemps à donner, notamment à l'intention des juristes, des textes glosés d'une composition impeccable.

    Les typographes et les libraires durent aussi tenir compte, à mesure que le commerce du livre se développait et se spécialisait et que la concurrence se faisait plus dure, de nécessités souvent contradictoires puisqu'il leur fallut dès lors maintenir un équilibre entre la recherche du plus bas prix de revient et les impératifs de la lisibilité. Les enquêtes menées sous la direction d'Ezio Ornato nous permettent de pressentir l'évolution de la mise en texte des incunables, ouvrages imprimés antérieurs à 1500, en fonction de ces différents facteurs. Au total, les imprimeurs, qui semblent avoir pris soin, en une première période, de reproduire le manuscrit, s'efforcèrent ensuite, sous l'effet de crises d'origines diverses et de la concurrence, de placer le plus grand nombre possible de signes dans un cadre d'écriture de plus en plus large en réduisant les marges et en utilisant des caractères de corps plus faible, si bien qu'ils firent doubler dans les incunables la densité des signes à la page par rapport à celle de manuscrits du XVesiècle. Cependant, comme toute tentative de ce genre était de nature à entraver la lecture en proposant des lignes trop serrées, trop longues et trop rapprochées, ils tendirent à adopter des mises en page à deux colonnes. D'où une tendance à la compression particulièrement sensible pour les textes d'étude en caractères gothiques. Cependant, les œuvres en langues vulgaires, destinées à une lecture plus cursive, firent l'objet d'un traitement spécial ; on réduisit la proportion des marges, on imprima les textes en lettres de plus gros module, mais qu'on tendit à rendre plus étroites, sans entraver pour autant la lisibilité ; on inscrivit celles-ci sur des lignes plus écartées, avec un nombre plus réduit de coupures de mots en fin de ligne, ce qui permettait d'offrir un plus grand « confort de lecture » confort qui devait pourtant se trouver réduit au cours du XVIesiècle, à mesure que les ouvrages ainsi imprimés se démodèrent et que les libraires tâchèrent d'atteindre un public de plus en plus large.

    Au total, les mises en texte n'évoluèrent donc que très lentement. Certes, les imprimeurs, désireux de normaliser le travail de composition en simplifiant la casse cette boîte divisée en casiers qui contiennent les caractères d'imprimerie, tendirent à réduire le nombre des abréviations, tout en en maintenant un certain nombre, notamment dans les textes en langues vulgaires afin de laisser une certaine latitude aux typographes à la fin de la ligne et de leur permettre d'éviter de couper les mots lors de la justification. Cependant, la casse continua d'être composée de manière très différente selon le type de caractères employés. On ne note en outre à peu près aucune évolution dans l'orthographe des textes composés en caractères gothiques. De sorte que la novation semble se réfugier dans les ouvrages imprimés en caractères romains. Héritiers de la tradition humaniste, les typographes et les lettrés qui éditent ainsi des œuvres latines ou néo-latines de caractère littéraire portent une attention particulière non seulement à l'exactitude du texte, mais aussi à sa présentation, à son orthographe et à sa ponctuation. Il en va ainsi dans l'atelier de la Sorbonne, où Jean Heynlin se charge de diviser en chapitres et de compléter par un glossaire alphabétique les Elegantiae linguae latinae de Lorenzo Valla, dont un secrétaire du roi a accepté de revoir le texte et qui sont publiées sous cette forme dans les premiers mois de 1472. Après quoi, Guillaume Fichet, qui dirige l'atelier avec Heynlin, donne à celui-ci les indications suivantes concernant l'édition du De officiis de Cicéron : « Ces divisions du texte que nous appelons chapitres jettent une grande clarté sur le contenu et aident la mémoire au point d'en rendre la lecture facile, même pour les enfants. Aussi, je veux te prier d'améliorer, en les corrigeant et les divisant suivant ta méthode, l'édition des Offices que les imprimeurs vont bientôt mettre sous presse. » On notera, cependant, que le caractère romain, sacralisé avec les réalisations de Jenson à Venise vers 1470 et plus ou moins maladroitement réalisé ailleurs par des typographes accoutumés au style gothique, connut ensuite une forme de repli, sans doute parce qu'il exigeait, par sa morphologie même, une plus grande place que la lettre gothique. On s'appliqua donc à en réduire le module, et cette réduction contribue à expliquer son retour en force à partir des années 1486-1490. En même temps, l'esprit même de l'humanisme commençait à s'imposer, tandis qu'Alde Manuce se mettait au travail.

    Source : Logiciel Encyclopédia Universalis 2012


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